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decomposition du moyen âge.

commencement de sage et bonne vie : mais l’instinct déjà poussait notre Villon dans une autre voie.

Il jouissait des farces grossières et brutales, des rixes, des soulèvements de la tumultueuse population qui réclamait les privilèges de l’Université : il ne se compromettait pas, se contentant de « romancer » et rimer quelque amusant ou scandaleux incident. Mais il hantait la pire société, fils de famille endettés, clercs débauchés ; de la Pomme de Pin à l’hôtel de la Grosse Margot, il n’était cabaret, et pire, qu’il ne connût. Il devint maître en l’art d’escroquer, par subtil ou effronté larcin, poisson, vin, viande, pain, tripes, de quoi faire une « franche repue » ; c’étaient jeux innocents par où il préludait à de plus sérieux exploits.

En 1455, le 5 juin au soir, prenant le frais après souper, il fut attaqué, blessé par un prêtre, tira sa dague et le tua : une femme était la cause de la querelle. Il ne resta pas à Paris après cet « accident ». Quelles routes le virent, on l’ignore : mais à voir comment il acheva de se gâter, on est tenté d’accorder à M. Schwob qu’il alla vivre avec ces « coquillarts » bourguignons parmi lesquels on rencontre plusieurs de ses bons amis. Il obtint en janvier 1456, sous deux noms différents, deux lettres de rémission pour le meurtre du prêtre, et les tripots de Paris le revirent. En décembre, avec cinq compagnons il escalada les murs du collège de Navarre, crocheta serrures et coffres, et vola un sac de cinq cents écus d’or. Puis, prudemment, il se donna de l’air et partit pour Angers : il lit à l’occasion de ce départ son Petit Testament, où il met sur le compte de certaines mésaventures d’amour son subit départ. Que sa maîtresse l’eût fait battre, il se peut ; mais il n’ajoute pas deux autres motifs qu’il a de voyager : la peur de la justice, et la mission qu’il avait reçue de sa bande d’étudier un coup à faire à Angers sur un vieux moine fourni d’argent comptant.

La découverte des auteurs du vol de Navarre, la prise et les aveux de l’un d’eux, fermèrent à Villon les portes de Paris. Il erra en Poitou, fut un moment aux gages de Charles d’Orléans, et prit part aux concours que le prince poète instituait : trop connu du duc, et estimé comme il convenait, il passa chez Jean de Bourbon. Là on le perd de vue. On le retrouve en 1461 : il a passé tout l’été dans la prison de Meung-sur-Loire, enferré, au pain et à l’eau, par ordre de l’évêque d’Orléans : peut-être pour la même affaire où son ami Colin de Cayeux « perdit sa peau », vol et meurtre commis à Montpipeau près Meung. Les choses prenaient un vilain tour : l’évêque n’était pas disposé à lâcher le mauvais garçon, quand Louis XI, récemment sacré, passa près de Meung, donnant des lettres de rémission aux prisonniers dans toutes les villes où il