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le quatorzième siècle.

traduction française ou italienne de l’historien romain : car on ne saurait trouver dans la Chronique de Louis XI une trace de la lecture de Tite-Live, au lieu que dans la Chronique de Charles VIII, beaucoup plus courte, la pensée de l’historien se reporte complaisamment vers les Romains et vers le peintre de leur grandeur. Mais alors nous sommes sortis décidément du moyen âge : le contact décisif s’est produit.

Jusqu’à ce moment fécond, tous les germes semblaient sécher et les efforts échouer. La littérature suit sa courbe descendante, à peine de loin en loin relevée par l’accident heureux de quelque talent individuel. Tandis que la poésie chevaleresque devient chaque jour plus froide, ou plus extravagante, un homme lui donne sur son déclin une perfection fugitive et la grâce exquise des choses frêles : c’est le prince Charles d’Orléans [1], le fils de Valentine de Milan, demi-italien de naissance, et qui, du privilège de sa race plus que par une studieuse assimilation, posséda l’art des formes sobres et charmantes. Toute sa valeur est là : il sait mesurer la phrase à l’idée, le poème au sujet. Pas de grandes machines, ni de vastes compositions : quand il s’y essaie, il ennuie, mais il n’essaie pas souvent. Il a de petits fragments d’idées, de fines pointes de sentiments, une mousse légère d’esprit : avec goût — mot nouveau, chose nouvelle — il détermine les dimensions du cadre, où une telle inspiration aura toute sa valeur : rondeaux, ballades, virelais, c’est l’affaire de quelques vers, et pas plus. Ses sujets sont peu de chose : la banalité de l’amour courtois, la banalité du renouveau qui chasse l’hiver. Mais il a le don du style : il renouvelle ces thèmes usés, à force de grâce imprévue, d’images fraîches ; ce que tout le monde a dit depuis trois siècles, il le dit, mais comme personne. Son imagination, où fleurissent tous les lieux communs, est d’autant plus heureuse et sereine en son expansion spontanée, que le jeu n’est pas troublé chez lui par d’inquiétantes dépenses du cœur ou de l’intelligence. Quelques observations morales qu’il démêle à l’aide de personnifications discrètes marquent la puissance de son esprit. Sur toutes les hautes pensées, il est muet, l’esprit immobile dans son horizon fermé : le cœur est vide de sentiment profond. Dans le soupir du prisonnier qui se voudrait chez lui, en sa douce France, bien à l’aise, je ne puis reconnaître

  1. Biographie : Né en 1391, fils de Louis d’Orléans et de Valentine Visconti, il épousa Isabelle de France, veuve de Richard II, qu’il perdit en 1409, puis Bonne d’Armagnac, qui mourut en 1415. Prisonnier à Azincourt, il ne fut mis en liberté qu’en 1440, et prit une 3e femme, Marie de Clèves. Il mourut en 1465.

    Éditions : Champillion-Figeac, in-12, Paris, 1842 ; d’Héricault, chez Lemerre, 2 vol. in-16, 1874. – À consulter : C. Beaufils, Étude sur la vie et les poésies de Charles d’Orléans, in-8, Paris, 1861.