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decomposition du moyen âge.


4. ÉLOQUENCE RELIGIEUSE.


Pétrarque, volontiers dédaigneux des barbares, disait que hors de l’Italie il n’y avait ni orateurs ni poètes. Pour les poètes, il avait peut-être raison ; pour les orateurs, il avait tort. La France eut au xive siècle des voix éloquentes, et jamais à vrai dire elle n’en avait manqué depuis le xie. Mais Pétrarque appelait orateur le lettré qui s’essayait à l’éloquence cicéronienne : et l’éloquence en France ne s’était pas encore laïcisée ni dépouillée des formes scolastiques.

Le fait caractéristique, et du reste tout naturel, dans l’histoire des origines de l’éloquence française, c’est la prédominance du genre religieux sur le genre politique et judiciaire. Même au xive siècle, quand les discordes civiles, les assemblées des États généraux, les soulèvements et les prétentions de la bourgeoisie parisienne et de l’Université font apparaître une ébauche d’éloquence politique, quand vers le même temps l’ordre de la procédure et des débats devant les tribunaux de légistes suscite le développement d’une éloquence judiciaire et la constitution d’un corps d’avocats, le sermon reste encore la forme type du discours oratoire. Les harangues, les plaidoyers, sont des sermons, avec texte et divisions, tout à fait selon l’usage des prédicateurs. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher ce que pouvait être l’éloquence du roi de Navarre Charles de Mauvais, ou celle de l’avocat Jean Desmarets[1] ; tous les deux furent célèbres en leur temps. Nous pouvons nous en tenir à la prédication chrétienne, d’autant que le grand sermonnaire du xive siècle, Gerson, nous donne aussi par ses Propositions et par son Plaidoyer pour l’Université contre le sire de Savoisy l’idée de ce que pouvaient être alors les discours politiques et judiciaires.

La prédication en français remonte aux origines mêmes de notre langue[2]. Le latin était la langue de l’Église : aussi prêchait-on en latin aux clercs, aux moines, même aux religieuses. Mais on prêchait aux laïcs en français. Dès le ixe siècle, les conciles de Tours et de Reims ordonnent aux prêtres d’instruire le peuple dans la langue

  1. Il fut avocat, du Roi. Il s’entremit souvent entre la cour et le peuple, qui applaudissait à ses harangues. Il fut mis à mort en 1383. — Cf. Munier Jolain, la Défense de Jean sans Peur par Jean Petit. Rev. bl., 3 mars 1894.
  2. À consulter : l’abbé L. Bourgain, la Chaire française au xiie siècle. Paris, 1879. Lecoy de la Marche, la Chaire française au moyen âge, 2e éd., Paris. 1886. Ch.-V. Langlois, l’Eloquence sacrée au moyen âge. Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1893.