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ix
avant-propos

philosophie ne sont pas accessibles à tous. La littérature est, dans le plus noble sens du mot, une vulgarisation de la philosophie : c’est par elle que passent à travers nos sociétés tous les grands courants philosophiques, qui déterminent les progrès ou du moins les changements sociaux ; c’est elle qui entretient dans les âmes, autrement déprimées par la nécessité de vivre et submergées par les préoccupations matérielles, l’inquiétude des hautes questions qui dominent la vie et lui donnent sens ou fin. Pour beaucoup de nos contemporains, la religion est évanouie, la science est lointaine ; par la littérature seule leur arrivent les sollicitations qui les arrachent à l’égoïsme étroit ou au métier abrutissant.

Je ne comprends donc pas qu’on étudie la littérature autrement que pour se cultiver, et pour une autre raison que parce qu’on y prend plaisir. Sans doute ceux qui se préparent à l’enseignement doivent systématiser leur connaissance, soumettre leur étude à des méthodes, et la diriger vers des notions plus précises, plus exactes, je dirai, si l’on veut, plus scientifiques que les simples amateurs de lettres. Mais il ne faut jamais perdre de vue deux choses l’une, que celui-là sera un mauvais maître de littérature qui ne travaillera point surtout à développer chez les élèves le goût de la littérature, l’inclination à y chercher toute leur vie un énergique stimulant de la pensée en même temps qu’un délicat délassement de l’application technique ; c’est là qu’il nous faut viser, et non à les fournir de réponses pour un jour d’examen ; l’autre, que personne ne saura donner à son enseignement cette efficacité, si, avant d’être un savant, on n’est soi-même un amateur, si l’on n’a commencé par se cultiver soi-même par cette littérature dont on doit faire un instrument de culture pour les autres, si enfin, tout ce qu’on a fait de recherches ou ramassé de savoir sur les œuvres littéraires, on ne l’a fait ou ramassé pour se mettre en état d’y plus comprendre, et d’y plus jouir en comprenant.