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le fin du siècle.

cosmopolite comme un Genevois, fait de vigoureux romans, un peu lourds, un peu ternes, un peu lâchés de facture, solides du moins et intéressants, où il scrute l’âme contemporaine et débat les problèmes les plus troublants de la vie contemporaine : ce sont des œuvres intelligentes, où se révèle un critique clairvoyant plutôt qu’un artiste créateur. M. Paul Margueritte[1], un révolté de naturalisme, a su garder la scrupuleuse étude des réalités, en y joignant l’intuition de la vie intérieure et une large pitié philosophique : il a donné deux ou trois œuvres qui, à leur date, étaient ce que l’art français soumis aux influences d’Éliot et de Tolstoï avait produit de meilleur. Il faudrait encore nommer M. Paul Hervieu[2], écrivain d’abord bizarre et tourmenté, en marche vers une lecture plus sobre et plus simple, observateur pénétrant et féroce des classes aristocratiques, créateur de types solides et lins : il était en train de prendre la première place dans le roman contemporain, lorsqu’il s’est détourné vers le théâtre ; — M. Marcel Prévost[3], peintre subtil de cas compliqués et de mœurs singulières, amateur de sujets où l’analyse psychologique confine à l’observation pathologique, invinciblement attiré par le mystère des âmes féminines ; — M. Paul Adam[4], improvisateur hâtif et fougueux, imagination puissante, esprit curieux, tour à tour attiré vers les sujets les plus divers, depuis l’idéalisme le plus fantaisiste jusqu’au plus pur réalisme, capable tour à tour de voir le présent, d’imaginer le passé et de rêver l’avenir, de peindre largement les masses ou de noter minutieusement les plus infimes détails[5]. Je ne dois pas surtout oublier M. Huys-

    morales du temps présent, 1892 ; le Sens de la Vie, 1889 ; Michel Teissier, 1892 ; la seconde Vie de Michel Teissier, 1893 ; Essai sur Gœthe, 1898 ; etc.

  1. Pascal Gefosse, 1887 ; Jours d’épreuve, 1888 ; la Force des choses, 1882 ; la Tourmente, 1893 ; l’Essor, 1896. Avec son frère Victor, il a donné : le Désastre, 1898 ; les Tronçons du glaive, 1901 ; les Braves gens, 1901 ; la Commune, 1904 quatre volumes qui font un ensemble puissant et pathétique. Comme pour la Débâcle de Zola, je regrette que les auteurs n’aient pas pris le parti de renoncer aux invention romanesques, si mesquines toujours en de tels sujets (11e éd.).
  2. L’Alpe homicide, 1885 ; l’Inconnu, 1887 ; Peints par eux-mêmes, 1893 ; l’Armature, 1895 ; etc.
  3. Le Scorpion, 1887 ; Mademoiselle Jaufre, 1889 ; Lettres de femmes, 1892 ; les Vierges fortes (Léa ; Frédérique), 1900 ; etc.
  4. La Force du mal, Cœurs nouveaux, 1896 ; la Bataille d’Uhde, 1897 ; Basile et Sophia ; la Force, 1899 ; l’Enfant d’Austerlitz, 1901 ; Au soleil de Juillet, 1903 ; la Ruse, 1903 ; le Serpent noir, 1905.
  5. Je nommerais aussi ces incompréhensibles frères Rosay, poètes et philosophes qui dans leurs romans d’une écriture trop personnelle ou, si l’on veut, d’un français trop douteux, ont posé les problèmes moraux et sociaux les plus actuels avec un sens aigu de la vie et une sympathie sincère pour les souffrants, ou parfois, s’emparant des hypothèses de la science contemporaine, ont introduit dans le roman la vision épique des temps préhistoriques : je devrais m’y arrêter s’ils n’avaient, par une production incessante et surabondante, renoncé à faire œuvre de littérateurs