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la littérature en formation.

revienne bientôt à l’histoire littéraire : s’il se donnait tout entier à l’action politique, la perte, pour la littérature, ne serait pas actuellement réparable[1].

M. Faguet[2], se gardant avec soin des théories générales comme de l’information érudite, nous a donné de curieuses analyses d’esprits. Il ne s’applique qu’à distinguer, à définir les êtres moraux qui se révèlent par les œuvres ; et tous ces mélanges de tempéraments, d’intelligences, et d’affections sont dosés par lui avec une fine précision. Il n’a point d’égal pour construire un esprit, pour en dessiner la structure et en démêler les fonctions essentielles. Il n’y a presque point de grands écrivains ou penseurs dans les cinq siècles de la littérature moderne, dont il n’ait ainsi pris les mesures et donné la description. Son influence a surtout été sensible dans le relèvement du xviie siècle aux dépens du xviiie, qu’il a assez maltraité, en regardant les individus plutôt que la société et le mouvement général des idées. Car il a fait beaucoup de monographies, et n’a presque jamais essayé d’étude d’ensemble : il s’est contenté de mettre des préfaces, substantielles et fortes, avec des partis pris un peu tranchants, aux recueils de monographies qu’il publiait. On n’a de lui qu’un livre d’esthétique littéraire, sur le théâtre : œuvre’de jeunesse visiblement malgré sa tardive publication, mais pleine de vues originales et intéressantes. En ces derniers temps, M. Faguet s’est donné lui aussi à la discussion des questions actuelles d’organisation politique et sociale : il y a porté la même indifférence à l’égard de l’érudition méthodique, la même puissance d’analyse, et la même richesse d’idées personnelles.

M. Jules Lemaître[3] a eu une fortune analogue à celle de Renan : il a passé par un petit séminaire ; et puis il a traversé l’École normale. Il a su, comme Renan, retenir la grâce et la force de deux cultures opposées ; et son charme complexe vient de là. Poète, sans s’être mis au premier rang, auteur dramatique,

  1. Il n’est pas revenu à la littérature, ou du moins il a voulu se partager : il n’a pu achever la publication ni la rédaction de sa grande Histoire. Et il a laissé une place qui, en effet, de longtemps ne sera pas remplie (11e éd.).
  2. Émile Faguet (né en 1847), de l’Académie française, professeur à la Sorbonne, la Tragédie au xvie siècle, 1883 ; Notes sur le théâtre contemporain, 3 séries, 1888-90 ; Seizième siècle, 1894 ; Dix-septième siècle, 1885 ; Dix-huitième siècle, 1890 ; Dix-neuvième siècle, 1887 ; Politiques et moralistes, 3 séries, 1891, 1898, 1900 ; Drame ancien, drame moderne, 1898 ; Gustave Flaubert, 1899 ; Questions politiques, 1899 ; Problèmes politiques du temps présent, 1901.
  3. Jules Lemaître (né en 1853), de l’Académie française. Les Contemporains, 6 séries, 1886-1896 ; Impressions de théâtre, 8 séries, depuis 1888. Poésies : les Médaillons, 1880 ; Petites orientales, 1883. Romans : Serenus, 1886, les Rois, 1893 ; Dix Contes, 1889. Théâtre : voyez plus bas, p. 1126.