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la littérature en formation.

lisatrice des croyances religieuses, pour affirmer énergiquement le postulat moral et la nécessité d’en l’aire une règle de vie, le devoir de se conformer à la volonté de Dieu, même sans croire à Dieu. Toutes ces prédications étaient imprégnées d’un vif sentiment de la fraternité humaine, qui semblait devoir apporter au collectivisme dogmatique le secours d’un socialisme sentimental, très propre à énerver la défense de la bourgeoisie.

Il y avait, en réalité, dans cette situation beaucoup de trouble, d’équivoque et de malentendu. Une crise qui constitua véritablement le pays pendant deux années en état de guerre civile, éclaircit la situation et dissipa les équivoques. Chaque groupe, chaque individu montra, si je puis dire, le fond de son sac, et sa tendance intérieure.

L’Église renonça à peu prés aux velléités d’action démocratique, et choisit la fonction, dont les avantages étaient plus immédiats, de protectrice de l’ordre social contre le collectivisme et l’anarchie : elle offrit son autorité, sa hiérarchie, son enseignement, son ascendant moral à la bourgeoisie, qu’elle a en grande partie ramenée à elle et arrachée au voltairianisme irrespectueux. Le néo-christianisme se scinda, et les uns retournèrent dans le camp conservateur et catholique, tandis que les autres s’enfonçaient davantage dans la voie de la liberté, à la poursuite d’une vérité relative et d’une justice absolue. Même scission parmi les républicains : les uns, plus conservateurs et persuadés qu’il y a dans une société des principes et des lois intangibles, ont achevé l’évolution qui les rapproche de l’Église et des anciens partis monarchistes, au point que, d’une part, l’Église, longtemps obligée de se tenir sur la défensive, a pu reprendre l’offensive contre les lois ou les idées de la société moderne qui contredisent son autorité et sa doctrine, d’autre part les partis monarchistes ont senti renaître leur espoir, longtemps découragé, de jeter à bas la République. D’autres républicains, plus démocrates, et convaincus qu’il n’y a rien dans les institutions comme dans les idées des hommes que de relatif et de conditionné, se sont avancés vers le socialisme, jusqu’à combattre avec lui, et, en réalité, à le servir, même sans y adhérer expressément. Ainsi s’est opérée la séparation du libéralisme et de la démocratie. Les libéraux, les conservateurs et les catholiques, malgré leurs divergences de principes et leurs vieilles rancunes, marchent maintenant ensemble. Il n’y a plus réellement que deux grands partis en présence, le parti de la défense sociale et le parti de la révolution sociale, les bourgeois et les collectivistes. Voilà les deux oppositions irréductibles : tout le reste n’est plus que nuances, ou le parait être momentanément.

La lutte est plus vive que jamais, et elle est partout. C’est là