Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
littérature héroïque et chevaleresque.

Peu de chose peut-être, car il ne parait pas qu’on les ait fort estimés : on ne songea même pas à les recueillir. L’influence provençale vint, aux environs de 1150, interrompre le courant du lyrisme original de la France, et susciter chez nous une poésie artificielle et savante : mais en même temps, mettant les vers lyriques en honneur, elle contribua à sauver quelques débris de la production populaire des siècles antérieurs ; elle éveilla sur eux la curiosité qui les fit écrire et nous les a transmis.


2. INFLUENCE DU LYRISME PROVENÇAL.


Les femmes ont eu aussi une part considérable dans la création de la poésie provençale : bien plus encore que dans le Nord, elle fut leur œuvre, et reçut d’elles sa matière et son objet. Elle y eut cet avantage de rencontrer un état social qui leur donnait plus d’empire, et fit une loi de leur goût. Toutes les circonstances, au reste, en préparaient la riche et facile floraison : tandis que le baron du Nord, entre les murs épais de sa maussade forteresse, menacé et menaçant, ne rêvait que la guerre, les nobles du Midi, en paix et pacifiques sous deux ou trois grands comtes, riches, hantant les villes, épris de fêtes, la joie dans l’âme et dans les yeux, l’esprit déjà sensible au jeu des idées, et l’oreille éprise de la grâce des rythmes se faisaient une littérature en harmonie avec les conditions physiques et sociales de leur vie. Dans leur loisir, l’amour devenait une grande affaire, et pour plaire aux femmes, ils se polissaient, s’humanisaient, dépouillaient l’ignorance et la brutalité féodales. Ayant à compter plus d’émotions que d’actions dans leur vie, ils n’avaient pas tant besoin d’une épopée, mais ils créèrent naturellement une poésie lyrique.

À la fin du xie siècle se forma l’art des troubadours [1] : art subtil et savant, plus charmant que fort, plus personnel et plus passionné au début, plus large aussi et embrassant dans la variété de ses genres la diversité des objets de l’activité et des passions humaines, puis de plus en plus restreint au culte de la femme, à l’expression de l’amour, et dans l’amour de plus en plus affranchi des particularités du tempérament individuel, soustrait aux violences de la passion, aux inégalités du cœur, de plus en plus soumis à l’intelligence fine et raisonneuse, et encadrant dans des rythmes tou-

  1. Éditions : Raynouard, Choix des poésies originales des Troubadours, Paris, 1818 et suiv., 6 vol. in-8 ; K. Bartsch, Chrestomathie provençale, 4e édit., Elberfeld, 1880, in-8. – À consulter : Fr. Diez, la Poésie des Troubadours, trad. p. le baron F. de Roisin, Paris et Lille, 1845, in-8 ; A. Thomas, Francesco da Berberino, in-8, 1883.