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CENT-VINGT-TROISIÈME LECTURE.
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des gouttes d’eau glacées roulant sur les feuilles du lotus. Le dieu la soutient ; et ses mains, sa poitrine ornée du divin Srîvatsa, sont tout inondées des pleurs qui sillonnent les joues arrondies de son amante. Il essuie ces larmes, et lui dit :

« Ô mon amie, ô toi dont l’œil est aussi beau que la fleur du lotus noir, pourquoi tes regards sont-ils chargés de pleurs, comme le calice du lotus est rempli de l’eau du lac ? Quand la lune doit briller de tout son éclat, quand le lotus doit, à l’heure de midi, étaler toute sa beauté, quelle cause vient leur enlever ces charmes qui ravissent mon âme ? Ô ma belle, pour quel motif as-tu quitté la couleur dorée du safran pour prendre le vêtement blanc ? Ta couleur de prédilection n’est-elle plus la couleur jaune[1] ? Avant l’arrivée de Nârada, le blanc n’était pas de ton goût. Pour quoi ton corps est-il dépouillé de ces parures qui relèvent tes attraits ?. Pourquoi ce front est-il caché sous un voile blanc, ce front qui doit être marqué d’un signe sacré[2] ? Ma belle et tendre amie, par quel motif ne porte-t-il pas la douce empreinte du sandal liquide et odorant ? Ô ma chérie, ce trouble qui règne sur ton visage jette aussi le trouble dans mon âme. Le sandal onctueux ne forme plus sur ta joue des lignes[3] aussi gracieuses qu’à l’ordinaire ; ton cou, dépouillé des pierres précieuses qui l’ornaient, ressemble au ciel dont les étoiles sont voilées par les nuages de l’automne.Ton visage, naguère aussi radieux que la lune, est devenu sombre ; et de ta bouche riante et modeste, parfumée par une douce haleine, il ne sort aucune parole pour ton ami. À peine daignes-tu me regarder. Tu soupires, et de tes yeux tombent des pleurs noircis par le cosmétique[4]. Charmante amie, c’est assez gémir, Ne verse plus ces larmes qui gâtent ton beau visage, et emportent la teinture de tes cils. Ne suis-je pas ton serviteur ? Le monde le sait. Et pourquoi ne m’exprimes-tu pas tes volontés ? Quel mal t’ai-je fait, pour que tu te montres de fer envers moi, ô ma belle maîtresse ? Ne te suis-je pas soumis d’âme, d’action,

  1. Cette couleur jaune est aussi celle des vêtements de Crichna.
  2. Ce signe s’appelle tchitraca, et ordinairement il est fait avec la poudre de sandal.
  3. Ces lignes se tracent avec le doigt sur le front, la gorge, le cou, etc. On se sert pour les former de parfums liquides et colorés avec le safran, le sandal, etc. Cette opération de toilette s’appelle patraca, patrabhanga, patralékhâ, patraballi, patrângouli, ou patrâbali. Une ligne perpendiculaire tracée sur le front se nomme oârddhwapoundra ou simplement poundra.
  4. Voyez pour l’explication de cette circonstance la note précédente.