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doctrine soit préféré à l’esprit qui lui a donné naissance. La simple analyse des traditions ne remédierait pas encore à ce vice, car l’instruction ne suffit pas pour transformer la masse des hommes en philosophes ; d’autre part, il n’y a pas de religion, si pétrifiée qu’elle soit, dont les formes sublimes ne puissent faire jaillir dans les esprits quelque étincelle de la vie idéale.

On doit se former une idée toute différente du matérialisme moral : il faut y voir un système de morale qui fait naître les actions morales de l’homme des diverses émotions de son esprit et détermine sa conduite, non par une idée impérieuse et absolue, mais par la tendance vers un état désiré. Cette morale peut être appelée matérialiste ; car, ainsi que le matérialisme théorique, elle repose sur la matière opposée à la forme. Toutefois, il ne s’agit pas ici de la matière des corps extérieurs ni de la qualité de la sensation comme matière de la conscience théorique, il s’agit des matériaux élémentaires de l’activité pratique, des instincts et des sentiments de plaisir ou de déplaisir. On peut dire qu’il n’y a là qu’une analogie et non pas une évidente uniformité de direction ; mais l’histoire nous montre presque partout cette analogie assez puissante pour expliquer la connexion des systèmes.

Un matérialisme moral de ce genre, complètement développé, non seulement n’a rien d’ignoble, mais paraît encore, comme par une nécessité intérieure, conduire finalement à des manifestations nobles et sublimes de l’existence, à un amour pour ces manifestations, bien supérieur au désir vulgaire de félicité. D’un autre côté, une morale idéaliste, si elle est complète, ne peut s’empêcher de se préoccuper du bonheur des individus et de l’harmonie de leurs penchants.

Or, dans le développement historique des peuples, il ne s’agit pas simplement d’une morale idéaliste, mais de formules morales, traditionnelles, bien déterminées, formules qui sont troublées et ébranlées par chaque principe nouveau ;