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Il est facile de se placer à un point de vue où toutes les sensations nous apparaîtraient comme des modifications de la sensation du toucher ; mais il nous reste encore alors bien des énigmes à résoudre ! Cependant, nous ne pouvons plus éluder avec autant de naïveté que Démocrite la question de savoir comment se comporte, en face de la pression ou du choc qui la provoque, la plus simple et la plus élémentaire de toutes les sensations. La sensation n’est pas dans l’atome pris isolément et encore moins dans un groupe d’atomes : comment en effet, pourrait-elle traverser le vide pour venir former une unité ? Elle est produite et déterminée par une forme où les atomes agissent concurremment. Ici le matérialisme effleure le formalisme, ce qu’Aristote n’a pas oublié de relever (26). Mais tandis que ce dernier plaçait dans les formes transcendantes les causes du mouvement et corrompait ainsi dans ses sources toute étude de la nature, Démocrite se garda bien de poursuivre davantage le côté formalistique de sa propre théorie, qui l’aurait conduit dans les profondeurs de la métaphysique. Plus tard, Kant (Critique de la Raison) jeta un premier et faible rayon de lumière dans cet abîme mystérieux, qui, malgré tous les progrès de la science, est encore de nos jours béant comme à l’époque de Démocrite.

6° « L’âme est formée d’atomes subtils, lisses et ronds, pareils à ceux du feu. Ces atomes sont les plus mobiles de tous et, de leur mouvement, qui pénètre tout le corps, naissent les phénomènes de la vie (27). »

Ainsi que chez Diogène d’Apollonie, l’âme est donc ici une matière spéciale ; suivant Démocrite, cette matière est répandue dans tout l’univers, provoquant partout les phénomènes de la chaleur et de la vie. Démocrite connaît donc entre le corps et l’âme une différence, qui ne plairait guère aux matérialistes de notre temps, et il sait faire servir cette différence au profit de la morale, absolument à la façon des dualistes en général. L’âme est la partie essentielle de l’homme, le corps n’est que le récipient de l’âme ; c’est