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temps, non seulement les philosophes mais encore le sens commun ont présupposé la persistance de la substance. Cette proposition prétend à la valeur d’un axiome comme condition préliminaire et indispensable de toute expérience régulière, et cependant elle a son histoire ! En réalité, l’homme à l’état de nature possède plus d’imagination que de logique ; rien ne lui est plus familier que l’idée de la naissance et de la destruction ; et le dogme chrétien de l’univers tiré du néant n’a probablement pas été la première pierre d’achoppement, dont le choc a éveillé la critique.

Dès l’origine de la pensée philosophique, apparaît sans doute aussi l’axiome de la persistance de la substance, bien que d’abord il soit un peu voilé. Dans l’infini (ἄπειρον) d’Anaximandre, d’où émanent toutes choses ; dans le feu divin et primitif d’Héraclite, au sein duquel les mondes se consument successivement, pour naître de nouveau, nous retrouvons incorporée la substance éternelle. Le premier, Parménide d’Élée nia toute naissance et toute destruction. L’être réellement existant aux yeux des Éléates, est le tout unique, sphère parfaitement arrondie, dans laquelle il n’y a ni changement ni mouvement. Toute modification n’est qu’apparence ! Mais ici se produisait entre l’apparence et l’être une contradiction qui ne pouvait rester le dernier mot de la philosophie. L’affirmation exclusive d’un axiome heurtait un autre axiome : « Rien n’est sans cause ! » Comment l’apparence pouvait-elle donc naître au sein de l’être ainsi immuable ? Ajoutez à cela l’absurdité de la négation du mouvement, qui, il est vrai, a provoqué d’innombrables discussions et favorisé la naissance de la dialectique. Empédocle et Anaxagore éliminent cette absurdité, en ramenant toute naissance et toute destruction au mélange et à la séparation des éléments ; mais ce fut l’atomistique la première qui donna à cette pensée une forme parfaitement nette et en fit la pierre angulaire d’une conception strictement mécanique de l’uni-