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tualiste pouvait être poursuivi comme athée ; car nul penseur ne se figurait les dieux tels que la tradition sacerdotale voulait qu’on se les représentât.

Si maintenant nous jetons un regard sur les côtes de l’Asie Mineure, dans les siècles qui précèdent immédiatement la période brillante de la vie intellectuelle des Hellènes, nous verrons la colonie des Ioniens, avec ses villes nombreuses et importantes, se signaler par son opulence, sa prospérité matérielle, son génie artistique et les raffinements de sa vie luxueuse. Le commerce, les alliances politiques, le désir croissant de s’instruire poussaient les habitants de Milet et d’Éphèse à des voyages lointains, les mettaient fréquemment en contact avec des mœurs, des opinions étrangères, et permettaient à une aristocratie, aux idées indépendantes, de s’élever à un point de vue supérieur à celui des masses moins éclairées. Les colonies doriennes de la Sicile et de l’Italie méridionale jouirent pareillement d’une floraison précoce. On peut admettre que, longtemps avant l’apparition des philosophes, les influences précitées avaient répandu, dans les hautes classes de la société une conception de l’univers plus libre et plus éclairée.

C’est au milieu de ces hommes riches, considérés, versés dans les affaires et instruits par de nombreux voyages, que naquit la philosophie. Thalès, Anaximandre, Héraclite et Empédocle, occupaient un rang éminent parmi leurs concitoyens ; et il n’est pas étonnant que personne ne songeât à leur demander compte de leurs opinions. Moins heureux, au XVIIIe siècle, Thalès devint le sujet de monographies où la question de savoir s’il fut un athée donna lieu à de vives controverses (3). Si nous comparons, sous ce rapport, les philosophes ioniens du VIe siècle aux philosophes athéniens des Ve et IVe, nous sommes tentés de songer à la situation différente des libres penseurs anglais du XVIIe siècle et des encyclopédistes français du XVIIIe siècle. En Angleterre, nul ne songeait à mêler le peuple à la lutte des opinions (4) ; en