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« Son atomisme a plus de vie que celui d’Épicure. Les atomes possèdent, d’après Gassendi, de la force et même de la sensibilité : de même que la vue d’une pomme décide l’enfant à quitter son chemin pour s’approcher de l’arbre, ainsi la pierre lancée est contrainte par l’attraction de la terre à quitter la ligne droite pour se rapprocher du sol. » Il me paraît erroné de lui prêter l’opinion qui accorde la sensibilité aux atomes, comme je l’avais admis dans la 1re édition de mon Hist. du mater. ; maintenant que je révise mon travail, je me vois dans l’impossibilité d’en fournir la preuve. L’erreur paraît provenir de ce que réellement Gassendi, à propos de la question difficile : Comment le sensible peut-il sortir de l’insensible, dépasse Lucrèce sur un point très-important. Je regrette de ne pouvoir citer ici que Bernier[1], attendu qu’au moment où je révise, je n’ai pas sous la main les œuvres complètes de Gassendi, et que l’impression ne peut plus être différée. On lit au passage indiqué : « En second lieu (au nombre des arguments que Lucrèce n’a pas employés, mais dont, au dire de Gassendi, il aurait pu se servir), que toute sorte de semence estant animée ; et que non-seulement les animaux qui naissent de l’accouplement, mais ceux mesme qui s’engendrent de la pourriture estant formez de petites molécules séminales qui ont esté assemblées, et formées ou dès le commencement du monde, ou depuis, on ne peut pas absolument dire que les choses sensibles se fassent de choses insensibles, mais plutost qu’elles se font de choses qui bien qu’elles ne sentent pas effectivement, sont néanmoins, ou contiennent en effet les principes du sentiment, de mesme que les principes du feu sont contenus et cachés dans les veines des cailloux, ou dans quelque autre matière grasse. » Ainsi Gassendi admet au moins ici la possibilité que des germes organiques, susceptibles d’éprouver des sensations, existent depuis le commencement de la création. Mais ces germes, malgré leur origine (inconciliable, on le conçoit, avec la cosmogonie d’Épicure), ne sont pas des atomes, mais des réunions d’atomes, bien que de l’espèce la plus simple. On aurait tort d’expliquer comme un effet purement intellectuel le mouvement de l’enfant qui voit une pomme. On ne doit entendre par là qu’un processus plus complexe d’attraction, qui se produit pareillement en vertu des lois de la physique. On peut se demander toutefois si Gassendi a ici développé le matérialisme avec autant de logique que Descartes, dans les Passiones animæ, où tout est ramené il la pression et au choc des corpuscules.

12 [page 240]. Voltaire dit dans ses Elém. de la phil. de Newton[2] « Newton suivait les anciennes opinions de Démocrite, d’Épicure et

  1. Abrégé de la philos. de Gassendi, VI, p. 48 et suiv.
  2. Œuvres compl., 1784, t. XXXI, p. 37.