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Kirchmann l’entend, nous donner seulement l’idée d’une espèce d’âme qui serait commune à tous les êtres animés, mais à côté de laquelle une partie de ces êtres pourrait encore avoir une autre espèce d’âme, non comprise dans la définition. La définition doit au contraire embrasser l’âme humaine tout entière avec ses facultés supérieures tout aussi bien, par exemple, que l’âme végétale, et tel est effectivement le cas ; car, d’après la conception d’Aristote, le corps humain est façonné, comme organisme, pour une âme raisonnable, qui constitue aussi l’acte de ce corps en renfermant simultanément les facultés d’un ordre Inférieur. Quoiqu’on ne puisse mettre cette conception d’accord avec une partie des systèmes modernes de psychologie, qui n’attribuent à l’âme que les fonctions conscientes, il ne nous est pas permis de regarder cette définition de l’âme comme simplement physiologique. Aristote, en cela plus sensé que beaucoup de modernes, fait, même pour l’acte de penser, coopérer la raison avec la forme sensible produite par l’imagination.

31 [page 188]. Fortlage[1] dit : « La grandeur négative d’un être immatériel, qui gouvernerait la sphère des sens extérieurs, fut fixée par Aristote à l’aide du mot ἐντελέχεια, mot énigmatique et équivoque qui par suite a l’air d’être profond ; de cette grandeur négative c’est-à-dire de rien il fit ainsi quelque chose. » Il est assurément vrai qu’avec son entéléchie Aristote fit de rien l’apparence de quelque chose. Or ce reproche atteint non-seulement l’idée d’âme, mais encore tout l’emploi du mot ἐντελέχεια et de plus toute la théorie aristotélique de la possibilité et de la réalité. Une fois pour toutes, on ne trouve dans les choses qu’une parfaite réalité. Chaque chose prise en soi est une entéléchie ; et quand on place un objet à côté de son entéléchie, on commet une pure tautologie. Or il en est de l’âme absolument comme de tous les autres cas. L’âme de l’homme est, d’après Aristote, l’homme. Cette tautologie n’acquiert, dans le système, une importance plus grande que si 1° on oppose à l’homme réel et achevé l’image apparente et décevante du corps, comme d’un homme simplement possible (voir du reste la note suivante), et si 2° l’être réel et achevé est confondu plus tard avec la partie essentielle ou intelligible de l’être, avec la même ambiguïté qui nous surprend tellement à propos de l’idée d’οὐσία. Aussi Aristote n’a-t-il pas plus fixé dans son idée d’âme « la grandeur négative d’un principe immatériel » qu’en général dans l’idée de forme. Ce fut la doctrine néoplatonicienne du suprasensible qui introduisit le mysticisme dans l’idée de l’entéléchie, où il trouva certes un terrain très-favorable à son développement.

32 [page 188]. Voir de Anima, II, 1, p. 61, dans la traduction de

  1. System der Psychol., I, p. 24.