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indépendants des sentiments religieux et politiques ; les masses populaires, dans antiquité plus encore qu’aujourd’hui, ne trouvaient des principes de morale que dans l’union indissoluble et reposant sur les traditions locales, des idées générales et des idées particulières, des principes d’une valeur permanente et des principes variables ; aussi la forte centralisation du vaste empire dut-elle exercer une influence dissolvante et délétère sur les vainqueurs comme sur les vaincus dans tous les pays soumis à Rome. Mais où est l’ « état social normal »[1] qui puisse d’emblée remplacer par des vertus nouvelles celles de l’état social qui est en train de disparaître ? Il faut pour cela, avant tout, du temps et, en règle générale, l’avènement d’un nouveau type populaire qui réalise la fusion des principes moraux avec des éléments sensibles et des éléments purement imaginaires. Ainsi les causes d’accumulation et de concentration, qui élevèrent la civilisation ancienne à son point culminant, paraissent avoir amené aussi sa décadence. L’imagination ardente qui se mêla particulièrement à la fermentation, d’où sortit finalement le christianisme du moyen âge, semble trouver ici son explication ; car elle indique un système nerveux surexcité par les extrêmes du luxe et de l’indigence, de la volupté et de la souffrance, dans toutes les couches sociales, et cet état de choses est à son tour le résultat de l’accumulation en quelques mains de la richesse générale, résultat que l’esclavage éclaire d’un jour particulièrement sinistre[2].

2 [page 154]. Gibbon[3] montre comment les esclaves, depuis la diminution relative des conquêtes, augmentèrent de prix et, par suite, furent mieux traités. Moins on fit de prisonniers de guerre, qui au temps des conquêtes se vendaient par milliers et à très-bon marché, plus on se vit forcé de faciliter à l’intérieur les mariages entre esclaves pour en augmenter le nombre. Il y eut ainsi plus d’homogénéité dans la masse des esclaves, qu’auparavant, par un raffinement de prudence, on composait, dans chaque domaine, de nationalités aussi diverses que possible[4]. Ajoutez à cela le prodigieux entassement d’esclaves dans les grands domaines et dans les palais des riches, puis le rôle influent que les

  1. Lecky, ibid. p. 234.
  2. Voir sur l’accumulation des richesses dans ancienne Rome, Roscher, Grundl. der National-Œkon., § 204 et particulièrement sa note 10 ; sur le luxe insensé des nations dégénérées, ibid., § 233 et suiv., et la dissertation sur le luxe dans ses Ansichten der Volkswirthschaft aus geschischtl. Standpunkte. — L’influence de l’esclavage a été mise en lumière surtout par Contzen, die sociale Frage, ihre Geschichte, Literatur u. Bedeut. in d. Gegenw.
  3. Hist. of the decl., chap. II.
  4. Voir Contzen, Die Briefe Cato’s, p. 174.