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des êtres qu’il reconnaît comme ses semblables, alors nous avons déjà une base, au moyen de laquelle on pourrait au besoin à peu près démontrer que les vertus aussi entrent insensiblement dans l’homme par les yeux et les oreilles. Sans oser faire avec Kant le pas décisif qui bouleverse toutes les relations de l’expérience concernant l’homme et ses idées, on pourrait cependant aussi établir cette morale sur un fondement solide en montrant comment, par l’intermédiaire des sens, se forme peu à peu dans le cours de milliers d’années une solidarité du genre humain pour tous les intérêts, d’où il résulterait que tout individu ressentirait les plaisirs et les douleurs de l’humanité entière par l’harmonie ou la désharmonie de ses propres pensées et sensations avec ces mêmes plaisirs et douleurs.

Au lieu de suivre le cours naturel de ces idées, d’Holbach, après quelques digressions qui rappellent vivement celles d’Helvétius sur l’esprit et l’imagination, s’attache à faire dérouler la morale du discernement des moyens d’arriver au bonheur, procédé qui reflète tout l’esprit du siècle dernier, si antihistorique et si porté vers les abstractions.

Les passages politiques du livre qui nous occupe sont assurément plus importants qu’on ne se le figure généralement. La doctrine qu’ils contiennent a un tel caractère de fermeté, de décision et d’absolu radicalisme ; ils dissimulent souvent, sous l’apparence de la foi démesurée dans le succès ou de la résignation philosophique, une irritation si implacable contre l’ordre de choses existant, qu’ils auraient dû exercer une influence plus profonde que les longues tirades d’une rhétorique spirituelle et passionnée. On y aurait sans doute fait plus attention s’ils n’étaient concis et disséminés dans tout l’ouvrage.

« Le gouvernement n’empruntant son pouvoir que de la société, et n’étant établi que pour son bien, il est évident qu’elle peut révoquer ce pouvoir quand son intérêt l’exige, changer la forme de son gouvernement, étendre ou limiter