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dans la copie immédiate de la nature la satisfaction suprême, si nous étions en état de pénétrer tout le système de ces enchaînements logiques des éléments (89). Il est vrai que, si l’on pousse la question jusqu’à ses dernières limites, on peut se demander si, pour une connaissance absolue qui, dans l’examen d’un seul fragment, discerne ses relations avec le tout et pour laquelle toute conception est une conception de l’univers, on peut se demander si, pour une pareille connaissance, il peut encore exister une beauté quelconque séparable de la réalité. Mais Diderot ne comprend pas ainsi la question. Sa thèse doit comporter une application pratique pour l’artiste et le critique d’art. Elle doit aussi admettre que les déviations de la « vraie ligne » de l’idéal sont permises jusqu’à un certain point, et que même, vis-à-vis les pures proportions normales, elles constituent le véritable idéal, dans la mesure où elles réussissent il faire valoir, du moins pour le sentiment, les proportions vraies des choses quant à leur unité et à leur enchaînement logique. Mais l’idéal perd ainsi son originalité. Le beau est subordonné au vrai et de la sorte son importance propre disparaît.

Si nous voulons éviter cet inconvénient, nous devons, avant tout, concevoir les idées morales et esthétiques elles-mêmes comme des productions nécessaires, formées, d’après des lois éternelles, par la force générale de la nature sur le terrain spécial de l’intelligence humaine. Ce sont les pensées et les aspirations de l’homme qui enfantent l’idée d’ordre comme celle de beauté. Plus tard apparaît la connaissance de la philosophie de la nature qui détruit ces idées ; mais elles renaissent continuellement des profondeurs cachées de l’âme. Dans cette lutte de l’âme qui crée avec l’âme qui connaît, il n’y a rien de plus antinaturel que dans un conflit quelconque des éléments de la nature ou dans la guerre d’extermination pour l’existence que se font entre eux les êtres vivants. Au reste, en se plaçant au point de vue le plus abstrait, il faut nier l’erreur de même que le désordre. L’er-