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vanche, les thèses du Système de la nature sont d’une solidité inébranlable contre toute opposition fondée sur le préjugé vulgaire : nous attribuons au hasard les effets que nous ne savons pas relier à leurs causes. — L’ordre et le désordre ne sont pas dans la nature. —

Que dit à cela Voltaire ? Écoutons ses paroles ! Nous nous permettrons de répondre au nom de d’Holbach. — « Comment ? dans le monde physique, un enfant né aveugle, un enfant dépourvu de jambes, un avorton, n’est pas une déviation à la nature de l’espèce ? N’est-ce pas la régularité ordinaire de la nature qui constitue l’ordre ; n’est-ce pas l’irrégularité qui constitue le désordre ? Un enfant, à qui la nature a donné l’appétit et fermé l’œsophage, n’est-il pas la preuve d’un puissant trouble, d’un désordre mortel ! Les évacuations de toute espèce sont nécessaires, et cependant les voies de sécrétion n’ont souvent pas d’issues, de sorte qu’on est forcé de recourir à la chirurgie. Ce désordre a sans doute sa cause ; pas d’effet sans cause ; mais le fait en question est assurément une perturbation considérable de l’ordre. »

Certainement on ne peut nier que, d’après notre manière de penser anti-scientifique dans la vie quotidienne, un avorton soit une grande violation de la nature de l’espèce ; mais cette « nature de l’espèce » est-elle autre chose qu’une idée empirique conçue par l’homme, idée sans aucun rapport avec la nature objective et sans aucune importance ? Il ne suffit pas d’admettre que l’effet, qui, par son rapport intime avec nos propres sensations, nous apparaît comme un désordre, a sa cause ; il faut aussi admettre que cette cause est en connexion nécessaire et invariable avec toutes les autres causes de l’univers, et que, par conséquent, le même grand tout produit de la même manière et d’après les mêmes lois, dans la plupart des cas, l’organisation complète et l’organisation incomplète. Au point de vue du grand tout — et, pour être juste, Voltaire aurait dû s’y placer — il est impos-