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l’individu comme pour la société, et cela à un double point de vue. D’abord, comme nous l’avons déjà dit, l’éducation sert à améliorer l’organisation de l’individu. Ensuite de la Mettrie accorde aussi à la société le droit de favoriser, dans l’intérêt général, au moyen de l’éducation, le développement des sentiments qui portent l’individu à servir les intérêts de la société et à trouver son bonheur même dans les sacrifices personnels qui tendent à ce but.

De même que le bon a pleinement le droit d’extirper en lui-même les remords provenant d’une mauvaise éducation, qui condamne à tort les plaisirs sensuels, de même le méchant, à qui de la Mettrie souhaite sans cesse tout le bonheur possible, est invité à se délivrer de ses remords, parce que d’abord il ne peut agir autrement qu’il a fait, et parce qu’ensuite la justice vengeresse saura le frapper tot ou tard, qu’il ait des remords ou non.

Ici il est évident que de la Mettrie se trompe, dans sa maladroite division des hommes en « bons » et « mauvais », ce qui l’amène à oublier l’infinie variété des combinaisons psychologiques des motifs bons et mauvais, et à supprimer la causalité psychologique, d’où dérivent les remords des méchants, tandis qu’il l’admet chez les bons. S’il peut se faire que ceux-ci, par un dernier effet de leur éducation morale, s’abstiennent de jouissances innocentes, il peut aussi arriver que les méchants, influencés par les sentiments qu’ils ont gardés de leur éducation, se laissent détourner de mauvaises actions. Il est évident aussi que le repentir, éprouvé dans le premier cas, peut devenir un motif d’abstention dans le second. Mais de la Mettrie doit nier ou négliger cela pour aboutir à la condamnation absolue de tout repentir.

Son système produit un fruit meilleur : il réclame des peines humaines et aussi douces que possible. La société, dans l’intérêt de sa conservation, est forcée de poursuivre les méchants ; mais elle ne doit pas leur faire plus de mal