Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre existence, la nécessité d’un culte ; c’est une vérité théorique sans utilité pour la pratique, et, comme d’innombrables exemples démontrent que la religion n’entraîne pas la moralité à sa suite, on peut aussi conclure que l’athéisme n’exclut pas la moralité.

C’est chose indifférente pour notre repos de savoir s’il y a un Dieu ou non ; s’il a créé la matière ou si elle est éternelle. Quelle folie de se tourmenter à propos de choses dont la connaissance est impossible, et ne nous rendrait en rien plus heureux, si nous pouvions l’acquérir ?

On me renvoie aux écrits d’apologistes célèbres ; mais que renferment-ils, si ce n’est d’ennuyeuses répétitions qui servent plus à confirmer l’athéisme qu’à le combattre ? Les adversaires de l’athéisme attachent la plus grande valeur à la finalité de l’univers. Ici de la Mettrie cite Diderot qui, dans ses Pensées philosophiques (70), publiées peu de temps auparavant, avait affirmé qu’on pouvait réfuter l’athée, ne fût-ce qu’avec l’aile d’un papillon ou l’œil d’une mouche, alors qu’on a le poids de l’univers pour l’écraser. De la Mettrie réplique que nous ne connaissons pas assez les causes qui agissent dans la nature, pour pouvoir nier qu’elle produise tout par elle-même. Le polype découpé par Trembley (71) n’avait-il pas en lui-même les causes de sa reproduction ? L’ignorance seule des forces naturelles nous a fait recourir à un Dieu qui, d’après certaines gens (de la Mettrie lui-même dans son Histoire naturelle de l’âme) n’est pas même un être de raison (ens rationis). Détruire le hasard n’est pas encore démontrer l’existence de Dieu, parce qu’il peut très-bien y avoir quelque chose qui ne soit ni le hasard ni Dieu, et qui produise les choses telles qu’elles sont, à savoir la nature. Loin donc d’écraser un athée, le « poids de l’univers » ne l’ébranlera même pas, et toutes ces démonstrations d’un créateur mille fois réfutées ne suffisent qu’à des gens dont le jugement est précipité, et auxquels les naturalistes peuvent opposer un poids égal d’arguments.