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La loi morale existe même chez les personnes qui, par une monomanie maladive, volent, assassinent, ou, dans l’excès de la faim, dévorent les êtres qui leur sont les plus chers. On devrait livrer aux médecins ces malheureux, qui sont assez punis par leurs remords, au lieu de les brûler ou de les enterrer tout vifs, comme cela s’est vu. Les bonnes actions sont accompagnées d’un tel plaisir qu’être méchant est déjà une punition en soi-même. — Ici de la Mettrie intercale dans son argumentation une pensée, qui n’est peut-être pas strictement à sa place, mais qui rentre essentiellement dans son système et rappelle étonnamment J. J. Rousseau : Nous sommes tous créés pour être heureux, mais notre destination primitive n’est pas d’être savants ; il se peut que nous ne le soyons devenus qu’en abusant, pour ainsi dire, de nos facultés. N’oublions pas à ce propos d’accorder un coup d’œil à la chronologie ! L’Homme-machine fut écrit en 1747 et publié au commencement de 1748. L’académie de Dijon mit au concours en 1749 la célèbre question dont la solution valut un prix à Rousseau en 1750. Au reste, l’expérience du passé ne nous garantit pas que cette petite circonstance empêchera de reprocher, le cas échéant, à La Mettrie de s’être aussi paré des plumes de Rousseau.

L’essence de la loi morale naturelle, est-il dit plus loin, réside dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Mais peut-être cette loi n’a-t-elle pour base qu’une crainte salutaire : nous respectons la vie et la bourse d’autrui uniquement pour conserver les nôtres ; de même que les « Ixions du christianisme » aiment Dieu et embrassent tant de vertus chimériques, uniquement parce qu’ils redoutent l’enfer. — Les armes du fanatisme peuvent anéantir ceux qui enseignent ces vérités, mais jamais ces vérités elles-mêmes.

De la Mettrie ne veut pas révoquer en doute l’existence cliun être suprême ; toutes la probabilités parlent en faveur de cette existence ; mais elle ne prouve, pas plus que toute