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jamais dépourvue ni de forme ni de mouvement ; elle est donc identique avec la substance. Même où le mouvement n’est point aperçu, il existe cependant comme possibilité ; ainsi, comme possibilité (en puissance, dit de la Mettrie), la matière contient en elle toutes les formes. Il n’y a pas le moindre motif pour admettre un agent en dehors du monde matériel. Cet agent ne serait pas même un être de raison (ens rationis). L’hypothèse de Descartes, que Dieu est l’unique cause du mouvement, n’a aucune valeur pour la philosophie, qui exige l’évidence ; ce n’est qu’une hypothèse imaginée par lui sous l’influence de la lumière de la foi. Vient ensuite la preuve que la faculté de sentir appartient aussi à la matière. Ici s’ouvre une voie où de la Mettrie démontre que cette opinion est la plus ancienne et la plus naturelle, et il n’a ensuite qu’à réfuter les erreurs des modernes, particulièrement de Descartes, qui l’a combattue. Les rapports de l’homme avec l’animal, ce grand défaut de la cuirasse des philosophes cartésiens, jouent naturellement dans cette question un rôle prépondérant. De la Mettrie fait avec beaucoup de finesse la remarque suivante : au fond, je n’ai la certitude immédiate que de ma propre sensation. Les autres hommes aussi éprouvent des sensations, c’est ce que je conclus avec une bien plus grande force de conviction d’après leurs cris et gestes, exprimant leurs sensations, que d’après leurs paroles articulées. Or ce langage énergique des émotions est le même chez les animaux que chez les hommes, et il a une puissance de démonstration bien supérieure à tous les sophismes de Descartes. Si l’on voulait arguer de la différence de la forme extérieure, l’anatomie comparée nous apprendrait que l’organisation interne de l’homme et des animaux nous présente une parfaite analogie. — Si, pour le moment, il nous est impossible de comprendre comment la faculté de sentir peut être un attribut de la matière, c’est là une énigme semblable à mille autres, où suivant l’expression de Leibnitz, au lieu de la chose elle-même, nous ne