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il faut avouer toutefois que, dans les dernières années de sa vie, il fit servir, avec une ardeur toute particulière, l’ensemble de ses efforts à briser les chaînes imposées par la morale. Cette circonstance, jointe à l’intention provocatrice avec laquelle, déjà dans le titre de son ouvrage principal, il représentait l’homme comme une « machine », a tout spécialement contribué à faire un épouvantail du nom de de la Mettrie. Les écrivains, même les plus tolérants, ne veulent plus reconnaître en lui aucun trait louable ; ils sont surtout indignés de ses rapports avec Frédéric le Grand. Et cependant de la Mettrie, malgré son écrit cynique sur la volupté, et sa mort à la suite d’une indigestion de pâté, était, ce nous semble, une nature plus noble que Voltaire et Rousseau ; mais, sans doute aussi, un esprit bien moins puissant que ces deux héros équivoques, dont l’énergie toujours en fermentation remua tout le XVIIIe siècle, tandis que l’influence de de la Mettrie s’excerça dans des limites incomparablement plus restreintes.

De la Mettrie pourrait donc en quelque sorte être appelé l’Aristippe du matérialisme moderne ; mais la volupté, qu’il représente comme le but de la vie, est à l’idéal d’Aristippe ce qu’une statue du Poussin est à la Vénus de Médicis. Ses livres les plus décriés ne montrent ni grande énergie sensuelle, ni verve entraînante, et semblent presque une œuvre artificielle, exécutée avec une soumission pédantesque à un principe définitivement adopté. Frédéric le Grand lui attribue, non sans raison, une sérénité et une bienveillance naturelles relles et inaltérables, et le vante comme une âme pure et un caractère honorable. Malgré cela, de la Mettrie encourra toujours le reproche de légèreté. Il peut avoir été un ami serviable et dévoué ; mais, comme dut l’apprendre en particulier Albert de Haller, il fut un ennemi méchant et vulgaire dans le choix de ses vengeances (58).

De la Mettrie naquit à Saint-Malo, le 25 décembre 1709 (59). Son père dut au commerce une aisance qui le mit à même