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Sans doute Averroès fait de la raison immortelle chez tous les hommes une seule et même essence, identique avec le contenu objectif de la science, mais cette identification de l’esprit et de son contenu repose sur la doctrine de l’identité de la pensée et de l’être véritable qui, comme raison divine, coordonnant les choses, a sa réelle existence hors de l’individu et ne brille dans l’homme que comme un rayon de la lumière divine. Chez notre auteur, l’instruction est un effet matériel que la parole émise produit sur le cerveau. En fait, ceci n’a pas l’air d’un adoucissement involontaire apporté à la doctrine d’Aristote, mais plutôt d’une transformation systématique, qui lui imprime un caractère matérialiste.

Dans la troisième lettre, l’auteur s’exprime en ces termes : « Prendre l’âme de l’homme (animam hominis) pour un être matériel, voilà à quoi je n’ai jamais pu me résoudre, quoique j’aie entendu bien des discussions sur ce sujet. Je n’ai jamais pu comprendre quel avantage la physique retirerait dans cette question (in hac materia) de l’adoption d’une pareille idée ; mais mon esprit se refuse surtout à admettre que, les autres créatures ayant été organisées de telle sorte que l’on attribue leurs actes visibles à leur matière ainsi façonnée par Dieu, l’homme seul ne puisse pas se glorifier de ce bienfait (il serait, au contraire, tout à fait inerte, mort, impuissant, etc. iners, mortuus, inefficax), et qu’on ait encore besoin d’introduire dans l’homme quelque chose pouvant non-seulement effectuer les actes, qui le distinguent des autres créatures, mais encore lui communiquer même la vie. »

L’auteur se croit néanmoins tenu de repousser le reproche d’être un mechanicus, c’est-à-dire un matérialiste : « Je ne parle que du mécanisme (mechanismo) ou de la disposition de la matière (dispositione materiœ) qui introduit les formes des péripatéticiens (formas peripateticorum) ; et, pour ne pas avoir l’air de produire une nouvelle philosophie, j’aime mieux ici me laisser accuser du præjudicii auctoritatis et avouer que j’ai