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matérialisme. Pour peu qu’on doute de la « réalité absolue » de la matière et de ses mouvements, on arrive au point de vue de Kant, qui regarde les deux séries causales, celle de la nature d’après la nécessité extrinsèque et celle de notre conscience empirique d’après la liberté et d’après des motifs intellectuels, comme de simples phénomènes d’une troisième série latente, dont il nous est encore impossible de constater la véritable nature.

Longtemps avant l’apparition de l’ouvrage de Robinet, Diderot penchait vers une théorie semblable. Maupertuis avait (1751) le premier, dans une dissertation pseudonyme, parlé d’atomes sensibles et Diderot, tout en combattant cette hypothèse dans ses Pensées sur l’explication de la nature (1754), laissait entrevoir combien cette hypothèse lui semblait évidente ; mais, alors encore, il était sceptique et d’ailleurs l’écrit de Maupertuis paraît avoir passé presque sans laisser de traces (37).

Diderot n’adopta point les idées de Robinet, mais il ne remarqua pas le côté faible que cette modification du matérialisme présente toujours. Dans le Rêve de d’Alembert, le rêveur revient souvent sur ce sujet (38). La chose est simple. Nous avons maintenant des atomes sensibles ; mais comment le total de leurs impressions particulières peut-il devenir l’unité de la conscience ? La difficulté n’est pas psychologique ; car si, d’une manière quelconque, ces sensations peuvent se confondre en un tout, pareilles aux sons d’un système d’harmonie musicale, nous pouvons aussi nous figurer comment une somme de sensations élémentaires peut former l’élément le plus riche et le plus important de la conscience ; mais comment les sensations peuvent-elles traverser le vide pour passer d’un atome dans l’autre ? D’Alembert rêvant, c’est-à-dire Diderot, ne peut se tirer d’embarras qu’en admettant que les molécules sensibles se trouvent en contact immédiat et forment de la sorte un tout continu. Mais il est ainsi sur le point de renoncer à l’atomistique, et d’aboutir au matéria-