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de ce dernier, comme nous l’avons dit, le précurseur de Kant, pourrait bien devoir son origine à Shaftesbury.

Les traits positifs de cette conception de l’univers devaient faire sur un homme comme Diderot une impression bien plus vive encore que sur Voltaire. Ce chef puissant du mouvement intellectuel du XVIIIe siècle était une nature tout enthousiaste. Rosenkranz, qui a tracé d’une main sûre l’esquisse des faiblesses, des contradictions de son caractère et de son activité littéraire appliquée à tant de questions diverses, fait aussi ressortir en traits lumineux l’éclatante originalité de son talent : « Pour le comprendre, il faut se rappeler que, comme Socrate, il enseigna généralement de vive voix, et que sur lui, comme sur Socrate, le cours des événements décida des phases successives de son développement, depuis la Régence jusqu’à la Révolution. Diderot, comme Socrate, avait son démon familier. Il n’était entièrement lui-même qu’après s’être élevé, à l’exemple de Socrate, aux idées du vrai, du bien et du beau. Dans cette extase que, d’après sa propre description, l’extérieur même décelait en lui et qu’il sentait d’abord par le mouvement de sa chevelure au milieu du front, et par le frisson qui parcourait tous ses membres, il devenait alors le vrai Diderot, dont l’éloquence enivrante ravissait, comme celle de Socrate, tout l’« auditoire » (31). Un pareil homme s’enthousiasma donc pour les « Moralistes » de Shaftesbury, ce « dithyrambe de l’éternelle et primordiale beauté, qui, dit Hettner, traverse le monde entier et convertit toutes les dissonances apparentes en une profonde et pleine harmonie. » Les romans de Richardson, ou la tendance morale est d’une sobriété toute bourgeoise, mais où l’action est si vive, si intéressante, provoquèrent aussi l’admiration fanatique de Diderot. Malgré les changements continuels de son point de vue, il ne varie jamais dans sa croyance à la vertu, dont la nature a profondément enraciné les germes dans notre esprit ; et, cette foi immuable, il sut la combiner avec les éléments en apparence