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tenir la foi religieuse en échec. Diderot commença sa guerre contre l’Église sous le drapeaux du scepticisme et la Mettrie lui-même, celui de tous les Français du XVIIIe siècle, qui se rattache le plus étroitement au matérialisme dogmatique d’Épicure, se disait pyrrhonien et déclarait que Montaigne avait été le premier Français qui eût osé penser (10).

La Mothe le Vayer était membre du conseil d’État sous Louis XIV et précepteur de celui qui devint plus tard le (régent) duc d’Orléans. Dans ses « cinq dialogues », il prône la foi aux dépens de la théologie ; et, tout en montrant que la prétendue science des philosophes et des théologiens est nulle, il ne cesse de représenter le doute lui-même comme une école préparatoire de soumission à la religion révélée ; mais le ton de ses ouvrages diffère beaucoup de celui d’un Pascal, dont le scepticisme primitif se changea finalement en une haine implacable contre les philosophes, et dont le respect pour la foi était non-seulement sincère, mais encore étroit et fanatique. On sait que Hobbes exalta aussi la foi pour attaquer la théologie. Si la Mothe n’était pas un Hobbes, il n’était assurément pas un Pascal (11). À la cour, il passait pour un incrédule et il ne s’y maintint que par l’irréprochable austérité de sa conduite, par sa discrétion et par la froide supériorité de ses manières. Il est certain que ses écrits favorisèrent le progrès des lumières et que la considération dont il jouissait, surtout dans les classes élevées, augmenta l’effet produit par ses ouvrages.

L’influence de Pierre Bayle fut bien plus considérable. Né de parents calvinistes, il se laissa, dans sa jeunesse, convertir par les jésuites, mais il ne tarda pas à revenir au protestantisme. Les mesures rigoureuses prises par Louis XIV contre les protestants le forcèrent à se réfugier en Hollande, où les libres penseurs de toutes les nations cherchaient de préférence un asile. Bayle était cartésien, mais il tira du système de Descartes des conséquences que Descartes n’avait point déduites. Tandis que Descartes se donnait tou-