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Ici, sans doute, Gassendi diffère de Lucrèce en ce qu’il admet un esprit immortel et incorporel ; mais, pareil au dieu de Gassendi, cet esprit est tellement en dehors du système qu’on peut très-bien se passer de lui. Gassendi ne s’avise pas non plus de l’admettre pour résoudre le problème de l’unité ; il l’admet parce que la religion l’exige. Comme son système ne connaît qu’une âme matérielle, composée d’atomes, il faut que l’esprit se charge du rôle de l’immortalité et de l’incorporalité. La manière, dont Gassendi procède, rappelle tout à fait l’averroïsme. Par exemple, les maladies mentales sont des maladies du cerveau ; elles n’affectent pas la raison immortelle ; seulement celle-ci ne peut pas se manifester, parce que son instrument est dérangé. Mais dans cet instrument réside aussi la conscience individuelle, le moi, qui, en réalité, est trouble par la maladie et qui ne la regarde pas alu dehors, — voilà un point auquel Gassendi évite de toucher de trop près. Au reste, même sans être gêné par l’orthodoxie, il pouvait avoir peu de propension à poursuivre les détails d’un problème qui l’éloignait du terrain de l’expérience.

La théorie de la nature extérieure, à laquelle l’atomistique rend de grands services, plaisait et Gassendi infiniment plus que la psychologie, où, pour compléter son système, il se contentait d’un minimum d’idées personnelles, tandis que Descartes, sans compter sa conception métaphysique du moi, essaya encore de construire une doctrine originale sur ce terrain.

À l’université de Paris, où, parmi les anciens professeurs, la philosophie d’Aristote était encore en vogue, les jeunes professeurs prirent de plus en plus fait et cause pour Descartes et Gassendi ; il se forma ainsi deux écoles nouvelles, celle des cartésiens et celle des gassendistes : les uns voulaient laient en finir avec la scolastique au nom de la raison, les autres au nom de l’expérience. Cette lutte fut d’autant plus remarquable que précisément à cette époque, grâce à