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attaque contre les éléments d’Aristote, il nous est permis de conjecturer que l’atomistique y était louée, contrairement aux idées péripatéticiennes. Bien plus, le septième livre contenait un éloge de la morale épicurienne (6).

Gassendi était, au reste, une de ces heureuses natures, auxquelles on pardonne un peu plus qu’à d’autres. Le développement précoce de son esprit ne l’avait pas, comme Pascal, dégoûté, de bonne heure, de la science et fait tomber dans la mélancolie. Aimable et gai, il se faisait bien accueillir partout ; et, malgré la modestie de ses manières, il cédait volontiers à son inépuisable verve humoristique, quand il était avec des amis. Dans ses anecdotes, il s’amusait surtout aux dépens de la médecine routinière, qui se vengea de lui d’une façon assez cruelle. Toutefois, une certaine gravité paraît ne pas avoir fait défaut à son caractère. Chose remarquable, parmi les écrivains qui l’avaient passionné dans sa jeunesse et délivré d’Aristote, celui qu’il nomme en première ligne n’est pas le spirituel railleur Montaigne, mais le pieux sceptique Charron et le grave Louis Vivès, qui alliait une logique sévère à l’austérité du jugement moral.

De même que Descartes, Gassendi dut aussi renoncer à « ses idées personnelles » dans l’exposé de sa conception du monde, mais il ne lui vint pas à l’esprit de pousser au delà des bornes sa complaisance pour les doctrines de l’Église. Tandis que Descartes faisait de nécessité vertu, et enveloppait le matérialisme de sa philosophie naturelle dans le large manteau d’un idéalisme éblouissant par sa nouveauté, Gassendi restait essentiellement matérialiste, et contemplait, avec un déplaisir marqué, les inventions de celui qui jadis avait eu les mêmes opinions que lui. Chez Descartes, le mathématicien l’emporta ; chez Gassendi, le physicien. Le premier, comme Platon et Pythagore dans l’antiquité, se laissa entraîner par les mathématiques au point de dépasser avec ses conclusions le champ de toutes les expériences possibles ; le second se maintint dans l’empirisme et, tant que le dogme