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génies comme des éléments ou cles forces matérielles, et l’on pourrait croire que nulle part le matérialisme de Bacon ne se montre plus clairement que dans la théorie des esprits. Toutefois, en y regardant de plus près, on voit qu’il admet dans sa théorie non-seulement toutes les hypothèses superstitieuses possibles, mais encore que sa transformation matérialiste des phénomènes attribués à la magie, en processus « naturels » est sans consistance et quelquefois même nulle. Ainsi Bacon prête, sans hésiter, aux corps une espèce d’imagination ; il fait « reconnaître » si l’aimant la proximité du fer, et il admet la « sympathie » ou « l’antipathie » des « esprits » comme cause des phénomènes naturels ; aussi le « mauvais œil », la suppression des verrues par la sympathie, etc., trouvent-ils parfaitement leur place dans sa conception de la nature (62). Bacon n’est pas en désaccord avec lui-même, lorsque, dans la théorie de la chaleur qu’il traite avec prédilection, il associe tranquillement « la chaleur » astrologique d’un métal, d’une constellation, etc., à la chaleur telle que l’entend la physique.

La conception de la nature, alchimico-théosophique de la kabbale avait une si grande vogue en Angleterre, surtout dans les cercles aristocratiques, que Bacon ne nous enseigne rien d’original sur ce point. Il se contenta de partager les idées de son entourage ; et sa servilité sans bornes lui fit adopter, pour complaire à la cour, un bien plus grand nombre d’idées de ce genre qu’il n’en eût admis, s’il avait conservé sa liberté. On doit remarquer, d’un autre côté, qu’en se figurant comme animée toute la nature, même celle qui est inorganique, ainsi que l’enseignait Paracelse, on se trouve singulièrement rapproché du matérialisme. Cette hypothèse est l’extrême opposé qui non-seulement touche au matérialisme, mais encore en dérive sous bien des rapports ; car, si nombreuses qu’on suppose les gradations, on finit par attribuer ai la matière seule la production de l’intellectuel. La personnification fantaisiste de cette âme universelle de la matière,