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existe ici entre le matérialisme et la métaphysique, il faut absolument revenir à cette confusion de l’être et de la pensée qui a eu de si graves conséquences sur la théorie de la « possibilité. » Nous persistons à croire que, dans l’origine, cette confusion n’eut que le caractère de l’erreur ordinaire. Il était réservé à des philosophes modernes de faire une vertu de l’impossibilité de se débarrasser de chaînes, qui pesaient sur l’esprit, depuis des milliers d’années, et d’ériger en principe l’identité non démontrée de l’être et de la pensée.

Si, pour une construction mathématique, je trace un cercle avec de la craie, j’ai d’abord comme but, dans l’esprit, la terme que doit produire sur le tableau l’arrangement des molécules qui se détachent de la craie. Le but devient la cause motrice ; la forme devient la réalisation du principe dans les parties matérielles. Mais où est maintenant le principe ? Dans la craie ? Évidemment pas dans les molécules prises isolément ; non plus dans leur ensemble ; mais bien dans leur « arrangement » c’est-à-dire dans une abstraction. Le principe est et reste dans la pensée humaine. Qui nous donnera finalement le droit de transporter un principe préexistant de ce genre dans les choses que ne produit pas l’intelligence humaine, connue, par exemple, la forme du corps humain ? Cette forme est-elle quelque chose ? Certainement dans notre conception. Elle est le mode d’apparition de la matière, c’est-à-dire la manière dont elle nous apparaît. Mais ce mode d’apparition de la chose peut-il exister avant la chose elle-même ? Peut-il en être séparé ?

Comme on le voit, l’opposition entre la forme et la matière, dès qu’on approfondit ce point, nous ramène à la question de l’existence des universaux ; car la forme ne pouvait guère être considérée que comme la généralité, existant par elle-même en dehors de l’intelligence humaine. Ainsi, toutes les fois que l’on va au fond des choses, la conception aristotélique du monde ramène au platonisme ; et, toutes