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ment, dans la faute que l’on vient justement d’éviter.

Il faut absolument affirmer au contraire que, s’il n’y a pas de matière dénuée de forme, si l’on ne peut que concevoir une telle matière, sans même se la représenter, il n’existe pas non plus de possibilité dans les choses. Le δυνάμει ὄν, ce qui existe comme étant possible, n’est qu’une pure chimère et s’évanouit complètement, pour peu que l’on quitte le terrain de la fiction. Dans la nature extérieure, il n’existe que de la réalité et non de la possibilité.

Aristote voit, par exemple, un vainqueur réel dans le général qui a gagné une bataille. Mais ce vainqueur réel était déjà, d’après lui, vainqueur avant la bataille ; seulement il ne l’était qu’en puissance (δυνάμει, potentia), c’est-à-dire selon la possibilité. On peut accorder sans hésitation qu’avant la bataille il y avait dans sa personne, dans la solidité, dans l’ordonnance de son armée, etc., des conditions qui devaient amener la victoire ; sa victoire était « possible ». Tout cet emploi du mot possible provient de ce que les hommes ne peuvent jamais saisir qu’une partie des causes efficientes ; si nous pouvions les connaître toutes à la fois, nous trouverions que la victoire est, non possible, mais nécessaire ; car les circonstances accidentelles, qui coopèrent extérieurement, forment un faisceau de causes combinées de telle sorte qu’un résultat précis aura lieu et pas d’autre.

On pourrait objecter qu’en parlant ainsi, on est tout à fait d’accord avec Aristote ; car le général, qui sera nécessairement vainqueur, est en quelque sorte déjà vainqueur ; mais ce n’est pas encore une réalité, ce n’est qu’une possibilité « potentia ».

Il y aurait ici un exemple bien frappant de la confusion des idées et des choses. Que j’appelle le général victorieux ou non, il n’en est pas moins ce qu’il est : un être réel, se trouvant à un certain moment du temps, où se déroule tout un ensemble de qualités et d’événements intérieurs et extérieurs. Les circonstances, qui n’ont pas encore eu lieu, n’existent par