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l’importante question de la sensation dans ses rapports avec la matière.

Ici, l’idée fondamentale est que le sensible naît de l’insensible. Le poëte précise sa pensée en disant que la sensation ne peut naître immédiatement ni de toutes choses, ni dans toutes les circonstances : ce sont seulement la finesse, la forme, le mouvement et la disposition de la matière qui déterminent ou non la naissance d’un être sensible doué de perception. La sensation n’existe que dans l’organisme animal (70), et elle appartient non aux parties, mais au tout.

Nous sommes arrivés à un point où le matérialisme, quelque logique qu’il soit d’ailleurs, abandonne toujours son terrain d’une manière plus ou moins dissimulée. On introduit ici évidemment un nouveau principe métaphysique par cette réunion des parties en un tout, et ce principe joue un rôle assez original à côté des atomes et du vide.

Pour prouver que la sensation n’est pas perçue par les atomes pris un à un, mais par le corps entier, Lucrèce emploie des images humoristiques. Il serait assez intéressant, dit-il, de voir les atomes humains rire ou pleurer, parler, en connaisseurs, du mélange des choses et se demander de quels éléments primitifs eux-mêmes sont composés. Il faudrait, en effet, que les atomes fussent constitués de tels éléments primitifs, pour pouvoir éprouver une sensation ; mais alors, ils ne seraient plus des atomes. Lucrèce oublie que la sensation humaine développée peut aussi être un ensemble, naissant de nombreuses sensations secondaires, par un concert particulier ; mais la difficulté principale n’en subsiste pas moins. Cette sensation d’ensemble ne peut, en aucun cas, être une simple conséquence des fonctions quelconques d’une partie isolée, sans que l’ensemble ait une certaine existence comme être ; car aucune sensation dl ensemble ne peut provenir d’un total, d’ailleurs irréalisable, de non-sensations des atomes.

L’ensemble organique est donc, à côté des atomes et du