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le poëte emploie la comparaison d’un troupeau qui est dans un pâturage ; malgré les bonds joyeux des agneaux, on n’aperçoit de loin qu’une tache blanche sur une colline verte.

Lucrèce représente les atomes comme ayant des formes très-variées. Lisses et ronds, rudes et pointus, ramifiés ou crochus, ils exercent, suivant leur conformation, une influence déterminée sur nos sens ou sur les propriétés des corps qu’ils servent à constituer. Le nombre des formes est limité ; mais la quantité des atomes avant la même forme est incalculable. Dans chaque corps, les atomes les plus divers s’unissent dans des proportions particulières ; et ces combinaisons, pareilles à celles des lettres qui entrent dans la formation des mots, rendent possible une diversité de corps bien plus grande qu’elle ne pourrait l’être par l’effet de la simple variété des atomes.

Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire un passage tout pénétré du génie de Lucrèce où l’auteur critique la conception mythologique de la nature :


Hic si quis mare Neptunum, Cereremque vocare
Constituit fruges, et Bacchi nomine abuti
Mavolt, quam laticis proprium proferre vocamen,
Concedamus ut hic terrarum dictitet orbem
Esse deum matrem, dura vera re tamen ipse
Relligione animum turpi contingere parcat[1] (69).


Lucrèce enseigne, après cela, que la couleur et les autres phénomènes sensibles n’appartiennent pas en réalité aux atomes, mais résultent seulement de leur action dans des rapports et des combinaisons déterminés. Il passe ensuite à

  1. « Si quelqu’un préfère appeler la mer Neptune et les blés Cérès ;
    s’il aime mieux abuser du nom de Bacchus que d’employer le terme
    propre de vin, permettons-lui de nommer la mère des dieux, pourvu
    qu’en réalité il s’abstienne de souiller son esprit par la religion avilissante. »