Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tre le goût du luxe et de la débauche, et, sous ce rapport, leurs passions, comme on le remarque souvent chez les individus, devinrent d’autant plus effrénées qu’elles avaient été plus longtemps contenues. À l’époque de Marius et de Sylla, ce changement dans les mœurs était entièrement accompli ; les Romains étaient devenus des matérialistes pratiques, et souvent dans le plus mauvais sens du mot, avant même de connaître le matérialisme théorique. Or la théorie d’Épicure était en général bien plus pure et plus noble que la pratique de ces Romains, qui avaient à choisir entre deux voies : ou bien s’amender et se soumettre à une sage discipline, ou bien dénaturer la théorie en y mêlant à tort et à travers les opinions d’amis ou d’ennemis pour aboutir à l’épicuréisme qu’ils désiraient. Ce dernier épicuréisme fut préféré, du moins comme conception plus commode, même par des natures plus nobles, par des hommes plus versés dans les questions philosophiques. Ainsi Horace s’intitule avec une ironie malicieuse pourceau du troupeau d’Épicure, laissant de côté la morale austère de l’épicuréisme primitif. Ce même Horace prend souvent pour modèle Aristippe de Cyrène.

Virgile se prononça moins catégoriquement ; lui aussi avait eu pour maître un épicurien, mais il s’appropria plusieurs opinions appartenant à des systèmes différents. Au milieu de tous ces demi-philosophes, se dresse un parfait épicurien, Lucrèce (Titus Lucretius Carus), dont le poëme didactique De rerum natura, plus que tout autre ouvrage, a contribué, lors de la Renaissance, à mettre en relief et à éclairer d’une plus vive lumière les doctrines d’Épicure. Les matérialistes du XVIIIe siècle étudiaient et aimaient Lucrèce ; mais c’est de nos jours seulement que le matérialisme paraît s’être complètement affranchi des traditions antiques.

Titus Lucretius Carus naquit l’an 99 et mourut l’an 55 avant le Christ. On ne sait presque rien sur sa vie. Cherchant un abri moral au milieu des guerres civiles ; il le trouva dans la philosophie d’Épicure. Il entreprit son grand poëme