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opposée à la direction suivie par la science moderne.

Dans les questions de controverse, la dialectique emprunte le secours de la déduction. Aristote se plaît à faire l’histoire et la critique des opinions de ses devanciers. Ceux-ci sont à ses yeux les représentants de toutes les opinions possibles ; et il conclut en leur opposant la sienne. Quand tous sont d’accord entre eux, la preuve est complète ; car la réfutation de toutes les autres théories fait apparaître comme nécessaire celle qui semble rester seule. Déjà Platon définissait la « science », pour la distinguer d’avec « l’opinion juste » : l’habileté du savant à réfuter dialectiquement les objections et à faire triompher ses convictions personnelles au milieu de la lutte des opinions. Aristote met en scène ses adversaires et leur fait exposer leurs doctrines, souvent d’une manière fort défectueuse ; il discute avec eux sur le papier, puis il juge dans sa propre cause. Ainsi, sortir vainqueur d’un débat, tient lieu de démonstration ; la lutte des opinions remplace l’analyse. Toute cette méthode de discussion, qui reste complètement subjective, ne peut faire naître aucune science véritable.

Si l’on se demande maintenant comment un pareil système a pu, pendant des siècles, barrer le chemin non-seulement au matérialisme, mais à toute tendance empirique en général ; comment il est possible que la « conception du monde en tant qu’organisme » imaginée par Aristote soit encore vantée aujourd’hui par une puissante école comme la base inébranlable de toute philosophie véritable, nous devrons d’abord nous rappeler que la spéculation se complaît dans les idées naïves de l’enfant et du charbonnier, et aime mieux, sur le terrain de la pensée humaine, associer les conceptions les plus informes aux conceptions les plus élevées, qu’adopter une opinion moyenne et s’en tenir à une certitude relative. Nous avons déjà vu que le matérialisme conséquent est plus en mesure que tous les autres systèmes de mettre de l’ordre et de l’harmonie dans le monde sensible,