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les marchandises, par leur nature même, indiquent jusqu’à un certain point ce que leurs expéditeurs peuvent être disposés à payer, il n’y a rien de semblable chez les voyageurs. Si donc ceux-ci devaient voyager tous dans les mêmes conditions, tout ce que les compagnies pourraient faire comme diversification de tarifs, par rapport à eux, ce serait d’accorder des réductions à certains voyageurs qui, d’une manière ou de l’autre, montrent qu’ils voyagent avec des intentions spéciales, et dont on peut croire que sans ces réductions ils ne voyageraient pas, ou qu’ils voyageraient beau coup moins : c’est ainsi que les billets à prix réduits donnés à ceux qui vont aux bains de mer, à ceux qui se rendent à des congrès ou à des fêtes, à ceux qui se rendent en un lieu pour en revenir dans un délai très bref, décident bien des gens à voyager qui ne voyageraient pas sans cela. Mais les compagnies ont une autre façon encore d’accroître leurs bénéfices : c’est d’offrir aux voyageurs plusieurs classes, les voyageurs des classes les plus élevées donnant davantage pour avoir plus de confort, parfois aussi plus de vitesse, et payant ce confort plus grand, celte vitesse plus grande, plus cher que ce qu’ils coulent à la compagnie. Toutefois la détermination des différences qui devront exister entre les classes, et celle des prix aussi, sont quelque chose de fort délicat. Si la supériorité des premières sur les troisièmes, au point de vue du confort et de la vitesse, n’est pas très marquée, il pourra arriver qu’on ne prenne que très peu les premières. Cela arrivera également si on donne de trop grands avantages aux voyageurs des premières : car il faudra leur faire payer ces avantages. Et si on rend les voyages trop pénibles aux voyageurs des troisièmes, on risque de diminuer le nombre total des voyageurs, et de faire tort par là à la compagnie.

Un cas intéressant est celui des livres. Il arrive que des éditeurs donnent des éditions successives d’un même livre à des prix différents, et décroissants : ils feront par exemple une première édition à 7 fr. 50 ; puis plus tard ils en feront une à 3 fr. 50. Dans la mesure où le public ignore, lorsque la première édition parait, qu’une édition bon marché la suivra, c’est ici une simple application du principe du prix multiple ; cette application, cependant, n’est point pareille à celles que nous avons vues tantôt : elle s’en distingue en ce que le prix de 7 fr. 50, qui est demandé d’abord, est ce même prix qui serait le plus lucratif pour le monopoleur s’il ne devait y en avoir qu’un. Que si maintenant le public sait, au moment de la publication du livre, qu’il y aura une édition bon marché, on a ici quelque chose d’analogue à ce que nous avons dit des classes différentes dans les trains de voyageurs : les acheteurs de l’édition à 7 fr. 50 ont cet avantage sur les autres de lire le même livre plus tôt ; on leur donne d’ailleurs le plus souvent, comme avantage supplémentaire, un volume plus grand et mieux imprimé.