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peut, à chaque fois qu’il a soif, faire les quelques minutes de chemin qui le séparent de la source. Si maintenant il consacre une journée à fabriquer un vase, ce vase lui permettra d’avoir chez lui une provision d’eau ; il pourra donc, le possédant, ne plus aller à la source que de loin en loin ; et après un certain temps il aura économisé, grâce à lui, plus de temps — par conséquent, ajouterons-nous, plus de valeur — que la fabrication du vase ne lui en aura coûté. Si notre homme, enfin, dépense quelques journées à construire une canalisation qui amènera l’eau de la source jusque chez lui, ces journées de travail seront plus que compensées, à la longue, par le fait qu’il n’aura plus besoin du tout d’aller à la source ; et cette avance sera sans doute plus productive encore que n’était la précédente[1].

Cet exemple de Böhm-Bawerk nous fait comprendre comment procède la production capitalistique. La production capitalistique comporte, par rapport à la production instantanée, ou à la production moins capitalistique, des détours. L’individu de Böhm-Bawerk, quand il veut « produire » de l’eau — si l’on peut ainsi parler — selon le mode capitalistique, au lieu d’aller tout simplement quérir celle eau chaque fois qu’il a soif, se procure de la terre, en façonne un vase ; il commence donc par allonger sa production. Et en outre il crée, dit Böhm-Bawerk, un produit intermédiaire. Grâce aux produits intermédiaires de cette sorte, on arrive à ce résultat de se procurer la même quantité de biens avec une dépense moindre, ou encore de se procurer plus de biens avec une même dépense[2].

Cette façon dont Böhm-Bawerk explique le rôle du capital dans la production des biens peut être acceptée. On prendra garde, toutefois, qu’il est nécessaire d’entendre dans un sens très large le concept de produit intermédiaire. Considérons le cultivateur qui veut avoir une récolte de blé : s’il se contente de semer du grain, sa récolte sera insignifiante ; il lui faut donner à sa terre diverses façons pour que cette récolte soit sérieuse, et ces façons constituent à coup sûr des avances capitalistiques. Si l’on voulait, toutefois, que les produits intermédiaires fussent des biens isolables, on ne trouverait rien ici pour en jouer le rôle.

91. Le schème de la productivité du capital d’après Böhm-Bawerk. — Avec du capital on peut, dans certaines productions, obtenir plus de biens qu’on n’en obtiendrait sans capital — et il y a beaucoup de productions, nous ajouterons, qui ne peuvent être que capitalistiques —. L’exemple de Böhm-Bawerk, cependant, met encore en lumière une autre vérité : c’est que — tout au moins dans certains cas et dans de certaines

  1. Voir la Positive Théorie des Capitales, liv. 1, ii.
  2. Pour Böhm-Bawerk, ce sont les produits intermédiaires qui constituent le capital — au sens social du mot —.