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je vous l’ai dit, et j’y exerçais la profession de comptable, mais vous savez que nous autres « Pantruchards » sommes naturellement aventuriers : ça c’est un fait ! Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, mais de mon temps on disait que l’armée coloniale se composait pour moitié d’engagés volontaires de la Capitale. Jugez !

« Je m’étais marié en 1899 avec une bien bonne fille. Parisienne comme moi et aussi naïve au fond (car la réputation de sceptiques méchants et moqueurs qu’on nous fait communément n’est pas applicable aux enfants du peuple de Paris, mais aux métèques intellectuels qui ont toujours hanté la Capitale et dont Voltaire est le type parfait). Malgré mes 31 ans et elle ses 24, nous étions deux enfants ne connaissant rien de la vie, mais s’aimant bien mutuellement et se composant à eux seuls leur univers.

« Je ne sais si de telles unions sont fréquentes ou si elles sont rares, mais enfin nous étions bêtes comme ça ! Pardonnez à un vieillard n’ayant plus à attendre de la vie que ses rigueurs, d’évoquer l’heureux temps où une autre âme l’aidait à en porter le poids ! Les larmes me viennent aux yeux en pensant aux jolies choses que la chère disparue trouvait à me dire, avec sa délicatesse de femme, quand le soir, rentrant la tête fatiguée de chiffres et de soucis, elle se suspendait à mon cou avec effusion, plongeant dans mes yeux ses bons regards pleins de dévouement, ne sachant quoi faire enfin pour me témoigner sa joie. Naturellement, je ne demeurais pas en reste avec elle, et les caresses allaient bon train, mêlées à toutes sortes d’enfantillages qui n’en finissaient plus. Pendant ce temps-là, le bifteck qu’elle avait oublié sur le feu brûlait !

« Alors, riant comme des fous, on courait dans l’humble réduit qui nous servait de cuisine en criant : « au feu ! » Ce qui faisait bougonner