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dant le travail, et lui empoignait les mancherons de la charrue, puis, à son signal, on partait tranquillement sans bruit. Ordinairement, dans un travail pareil, plein de heurts et d’à-coups, bêtes et gens s’affolent et s’énervent ; ce ne sont que cris, jurements, coups de fouet et bruits de chaînes. Mais on eût dit ici que le sang-froid du conducteur se communiquait même aux chevaux. Rien de précipité, la traction s’opérait tranquille quoique sûre, et si parfois une vieille souche arrêtait brutalement l’attelage, un « ho » paisible calmait le commencement d’excitation que le choc lui avait causé ; on faisait tranquillement sauter l’obstacle d’un coup de hache et la marche continuait.

«  Mais le soir, à six heures sonnantes, mon Anglais mettait autant de ponctualité à quitter le travail qu’il en avait mis à l’aborder le matin, et je crois que pour rien au monde il eût consenti à le continuer : c’était à prendre ou à laisser.

«  À part ça, d’une urbanité parfaite, car sans être aussi expansif que nos Canadiens-français, les Anglo-canadiens ont néanmoins beaucoup de sociabilité et d’altruisme — leur voisinage serait exquis, étant donné l’esprit de justice qui les distingue, si chez un vieux fond de sectarisme orangiste ne leur faisait pas suspecter en tout Français un atavique partisan de la tyrannie papiste. Par un curieux anachronisme, ces braves gens en sont encore au « no popery » de Cromwell et de Guillaume d’Orange, et leur méfiance pour nous à l’avenant, comme on peut s’en apercevoir en temps d’élections par exemple.

«  Mais je n’allais pas agiter des questions litigieuses, trop heureux de l’obligeance que ce voisin mettait à me payer en « cassage » un temps que j’avais eu moins de mal à passer chez lui en labours faciles, surtout que, grâce à sa célérité relative, les 20 acres se trou-