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pauvre femme se mit à pleurer, déclarant qu’il n’y aurait pas moyen pour nous de vivre dans ce pays.

« Cela me fit mal au cœur et me mit en colère. Serrant les poings, je lui déclarai à mon tour que, sitôt les chevaux reposés, j’allais reprendre la route et vendre cette fois directement aux consommateurs, lui rapportant en place d’épiceries frelatées des piastres sonnantes et trébuchantes.

« En effet, quelques jours après je retournais avec non seulement des patates, mais des oignons, des carottes, des betteraves et même du beurre.

« Sitôt arrivé à Prince Albert je ne perdis pas mon temps à hésiter, à tergiverser sur la décision à prendre : le « struggle for life » me talonnait trop fort : j’allai droit à la première maison qui s’offrit à ma vue — un riche bungalow — et je demandai là si on ne désirait pas des patates pour l’hiver.

« La maîtresse du logis, une grande anglaise sèche, roide, hautaine — sorte de Lady Macbeth — me fixa de ses yeux durs gris-acier, puis articula du bout des lèvres :

— Sont-elle belles vos « potatoes » ?

— De premier choix, répondis-je, décidé, dans mon anglo-charabia (c’était d’ailleurs la vérité).

— Et combien les vendez-vous ?

35 sous le minot, plein poids !

Sur échantillon, elle m’en prit six sacs avec du beurre que je lui garantis très fin et proprement fait (ceci aussi était exact). Les apparences, décidément, plaidaient en ma faveur, car en me payant elle me dit avec une amabilité plutôt inattendue, de ne pas manquer de repasser à mon prochain voyage et de lui amener si possible des poulets et des œufs.

« Très encouragé par ce début, j’allai visiter les maisons voisines, où en général je fus accueilli avec la même faveur, si bien que ma charge fut vivement placée, et j’avais au-dessus de 20 dollars en poche.

« La facilité de vente m’avait surpris ; à la réflexion j’en trouvai