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les rôles sont changés !

« À l’époque, les Fermes Expérimentales ne nous ayant pas encore créé des blés productifs comme le Huron ou le Marquis, on n’avait guère plus de 20 minots à l’acre. M. R… récolta donc environ 800 minots de blé, 400 d’avoine et 100 d’orge. Il se déclara cependant satisfait, car il avait pour maxime qu’un homme faisant annuellement 500 dollars de grain et autant de bétail, pouvait se dire à l’aise. De fait, le pouvoir d’achat d’un dollar alors était triple de l’actuel ; mais le blé se vendait seulement 55 sous le minot.

« Et ce blé, il fallait le conduire loin pour obtenir de le vendre par protection à des Anglais méprisants qui profitaient de notre ignorance pour nous duper tant sur le poids que sur le prix. Si, pendant de longues années j’ai refusé d’en semer, préférant faire n’importe quoi d’autre je peux dire que ce sont ces requins qui en furent cause.

« Sitôt le battage terminé (lequel m’avait valu 6 dollars pour trois journées courbaturantes à charrier sans répit de la paille avec une fourche) M. R… qui, comme tout fermier canadien, manquait d’argent en automne, envoya sa femme avec une petite charge de blé à Prince Albert. Désirant nous-mêmes faire ce voyage pour acheter nos nécessités d’hiver, nous lui offrîmes de prendre sur notre wagon une partie du chargement afin d’alléger ses chevaux, ce qui fut accepté avec reconnaissance. C’était d’ailleurs pour moi une occasion de connaître la route.

« Partis à 4 heures du matin, nous étions rendus vers les 7 heures du soir dans cette ville typique du Nord-Ouest qui gardait encore le cachet du vieux temps. Étalée sur les bords de la grande rivière Saskatchewan dans laquelle se couchait à ce moment-là le soleil, elle ne laissa pas de nous faire impression avec ses curieuses maisons de bois à toits plats et multi-