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propriétaire et le maître. Non moins certainement, Placide Bernier, ne se sentait pas fait pour vivre » commis de magasin » tout ce que l’avenir pouvait lui réserver de jours à vivre. Si encore les appointements eussent été en proportion des services rendus et du travail accompli : mais le salaire était plutôt mince : de quoi subsister. Il est vrai qu’il entrait dans une carrière où il manquait totalement d’expérience, et pour la première année on ne pouvait pas lui payer un salaire, « de prince ». Néanmoins, au cours de la deuxième année — si toutefois les patrons étaient satisfaits de lui — le salaire de Placide serait sensiblement augmenté.

Disons, pour abréger, que notre ami demeura près de huit années dans le service de ce magasin à rayons. Garçon « ménager », mais aussi garçon à tenir tête à des amis à l’occasion. Placide Bernier, au cours de ces années-là mit à la banque deux mille et quelques cents dollars économisés peu à peu sur un salaire hebdomadaire et moyen de dix-huit dollars durant ces nuit années.

On pourra dire que c’est peu et, sans doute, on le dira même. Seulement, on aura oublié qu’il en coûte bien, à un jeune homme qui n’est ni pingre ni prodigue, six cents dollars, ou pas loin, pour vivre dans une ville comme Québec et y tenir convenablement son rang.

À ce compte-là, d’ailleurs, Placide lui-même trouvait que la conquête de la fortune n’était pas encore à « une portée de main », et qu’il lui faudrait bien cent années de vie, de travail et surtout de servage pour s’acquérir une certaine indépendance financière. Et encore pourrait-il jamais l’acquérir cette indépendance, s’il prenait femme et fondait foyer en famille ?…