Page:Lamontagne-Beauregard - Au fond des bois, 1931.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— 37 —

j’ai couru près du ruisseau. « Petit ruisseau, lui dis-je, voici quelqu’un qui veut apprendre de toi sa destinée. Si je suis belle je deviendrai peut-être la femme d’un millionnaire… Si je suis laide, je resterai une humble fille des bois… Oh ! mon petit ruisseau, dis-moi, dis-moi ma destinée ! » L’onde était claire comme un miroir véritable. J’écartai en tremblant les branches capricieuses qui s’enlacent sur ses bords, et je me dressai lentement au-dessus de l’eau limpide qui dormait à mes pieds. Puis, je me regardai. Oh ! quelle charmante surprise ! Est-ce qu’on croit facilement ce qu’on désire ?… Je me suis trouvée belle ! Oui, je suis vraiment belle. Un menton en ovale, une peau rose, des joues pleines, et surtout des yeux remarquables : grands, noirs, et profonds comme les nuits. Ma chevelure est épaisse et souple comme de la soie de Naples. Oui, je suis belle. Je me suis regardée longtemps, pour en être bien sûre. Tête haute, tête basse, les yeux ouverts ou à demi-fermés, j’ai pris des poses, je me suis étudiée. Je ressemble à cette chanteuse célèbre dont j’avais vu le portrait chez mon oncle le riche, dans un grand journal. Et me voilà maintenant qui rêve au jeune Américain et à son sourire…