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FRANCO-ALLEMANDE

La Prusse ne pouvait achever son œuvre unitaire que I par une guerre victorieuse contre la France. Dans sa Confédération de l’Allemagne du Nord, le Reichstag s’inquiétait du déficit et marchandait les ressources militaires ; dans le Sud, les autonomistes avaient la majorité en "Wurtteinberg et en Bavière ; ils réclamaient l’abrogation des traités d’alliance de 1806. « On ne pouvait se dissimuler, dit Klupfel, que le mouvement unitaire rétrogradait. Le parlement douanier avait perdu toute signification nationale ; en Bavière et en W’urttemberg, des chambres particularistes se donnaient pour tache d’anéantir les traités d’alliance ; les ministres faisaient consister la sagesse patriotique à rester à moitié chemin, et dans le parlement du Nord même, Bismarck avait déclaré que l’entrée de Bade dans la Confédération était politiquement impossible. » Seule une agression étrangère, en surexcitant le chauvinisme allemand, pouvait refaire l’accord au profit de la Prusse (V. Allemagne, Confédération, Bavière, Wurttemiskrc, Bismarck, Guillaume I er , etc.). La grande habileté de Bismarck fut de provoquer la guerre en se la faisant déclarer par la France.

En France, les gouvernants étaient divisés ; la nation était pacifique ; les républicains et les libéraux l’étaient tout à fait. Parmi les hommes d’Etat de l’Empire, plusieurs voulaient la guerre ; les uns la jugeaient inévitable, les autres désirable. Les raisons qui les y portaient étaient multiples. « Une sorte de fatalité pesait sur le second Empire. Il était poussé à la guerre par l’amour-propre de son passé, par diverses sommités de cette armée qui avait contribué à sa fondation, par plusieurs de ses amis fatigués de sa politique intérieure, enfin par les doléances ou les reproches d’une partie de ses adversaires. » L’influence prédominante fut celle de l’impératrice Eugénie, Espagnole uniquement préoccupée d’assurer le trône à son fils ; elle était entourée de conseillers ultramontains, désireux d’abaisser la Prusse protestante et qui avivaient sa conviction ; mais la grande raison était l’affaiblissement de Napoléon III que sa maladie de la vessie semblait condamner à une mort prochaine ; les progrès de l’opposition libérale paraissaient effrayants dans l’hypothèse d’une minorité et d’une régence. On voulait relever l’ascendant du parti militaire dévoué à la cour et rajeunir la gloire napoléonienne par des victoires ; il fallait se hâter avant que l’empereur ne disparût. Aussi saisit-on la première occasion. Deux hommes eurent dans ces conjonctures un rôle déplorable, le ministre de la guerre Lebœuf et le ministre des affaires étrangères de Gramont. Us entraînèrent l’empereur et le premier ministre qui eussent préféré la paix, mais que leur faiblesse morale livra aux influences opposées. Les diplomates de cabinet firent beaucoup pour la guerre. Ils jugeaient la situation créée en 1666 anormale, contraire à leurs conceptions de l’équilibre européen, et de la pondération des puissances allemandes ; au lieu de plier leurs théories aux faits nouveaux, ils voulaient plier ceux-ci aux théories et rétablir le statu quo ante. Ce résultat ne pouvant être obtenu que par une guerre, ils la croyaient nécessaire. Personnellement ils avaient été blessés dans leur amourpropre par l’attitude de la Prusse qui les avait joués, et spécialement par Bismarck. Le duc de Gramont tenait a honneur de prendre sur celui-ci une revanche, 11 combinait de vastes plans et, avec une foi naïve et une parfaite infatuation, les tenait pour réalisés, n’admettant pas que l’Europe pût ne pas adopter ses idées. D’aecord avec la coterie de l’impératrice, il saisit la première occasion qui s’offrit de tenter le sort des armes.

La candidature Hohenzollern. — L’incident qui provoqua la guerre fut la candidature du prince Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne. Ce troue était vacant depuis le 30 sept. 1808, mais le gouvernement provisoire, ne voulant pas établir la République, cherchait un roi ; les familles régnantes de Portugal et d’Italie étaient peu disposées à accepter. Un député, ancien secrétaire d’ambassade à Berlin, Salazar y Mazarredo eut l’idée du prince Léopold de Hohenzollern, lequel était catholique, marié à une princesse portugaise, allié aux Bonaparte et frère du roi Charles de Roumanie, à l’avènement duquel Napoléon III avait contribué. En avr. 1869, Salazar vint à Berlin et s’efforça de décider le prince Léopold et son père le prince Antoine ; le roi Guillaume et Bismarck étudièrent la question. L’ambassadeur français à Berlin fut mandé par l’empereur qui lui déclara qu’il ne pouvait accepter cette candidature antinationale. Bcnedctti vit donc Bismarck en mai et celui-ci lui répondit avec beaucoup de bon sens : « La souveraineté qui pourrait être offerte au prince Léopold ne saurait avoir qu’une durée éphémère ; elle l’exposerait à plus de dangers encore que de mécomptes », et exprima l’opinion que ni son père ni le roi n’y étaient favorables ; toutefois, il n’émit pas à ce sujet d’affirmation catégorique ; sans prévoir les conséquences de la candidature Hohenzollern, il y apercevait un moyen d’action éventuel. Salazar gagna à ses idées le maréchal Prim alors investi d’un pouvoir presque dictatorial en Espagne et publia son projet (oct. 1809). Les négociations se poursuivirent en secret entre Salazar et le prince ; comme le roi de Prusse et Bismarck voulaient éviter d’être compromis au cas où l’affaire échouerait, ils décidèrent de la considérer comme une affaire de famille, ce qui était exact puisqu’elle n’intéressait ni la Prusse ni la Confédération de l’Allemagne du Nord ; ils refusèrent d’abord de recevoir des envoyés de Prim ; mais après un long délai, en mai 1870, Bismarck écrivit à celui-ci que la candidature du prince de Hohenzollern était en elle-même une excellente chose, qu’il ne fallait pas l’abandonner et qu’à un moment donné elle pourrait être opportune. Salazar accourut à Berlin. L’entente fut établie. Le roi de Prusse, parti pour Emsle 20 juin, déclara au prince Léopold, le 28 juin, qu’en sa qualité de chef de famille il ne croyait pas devoir mettre obstacle au projet. On résolut d’observer un secret rigoureux jusqu’à la réunion des Cortès. Ce serait aux Espagnols à s’arranger avec les puissances.

L’idée de Prim était d’écarter le roi de Portugal, candidat oc ;>’„,„, ;, ;n III ; il espérait que l’empereur, mis en présence d’un vote des Cortès, accepterait le prince Léopold ; sinon il pèserait sur la cour italienne pour qu’elle donnât un de ses princes comme roi à l’Espagne. La Prusse se mettait dans une situation hasardeuse ; mais, en cas de succès, elle avait un de ses officiers à la tète de l’armée espagnole : si la France mettait son veto, elle répondrait qu’il s’agissait d’une affaire de famille et offrirait des concessions ; si l’Europe était hostile a la candidature, le prince seul engagé la retirerait. On ne prévoyait guère une insistance plus étendue de la France après la renonciation ; mais cette hypothèse était la plus favorable, car, en ce cas, la France, en déclarant la guerre, se mettrait dans son tort, puisque la cause immédiate n’existerait plus. Ce plan fut dérangé par l’indiscrétion de Salazar qui publia à Madrid l’acceptation du prince prussien ; les Cortès devaient être convoquées au mois d’août. L’ambassadeur français en Espagne, Mercier de Lostende, télégraphia lé 2 juil. au duc de Gramont ; le lendemain, la nouvelle se répandit à Paris et en Europe. Le secret avait été bien gardé sur la négociation du mois précédent, si bien que le gouvernement français fut pris au dépourvu ; menace d’un échec diplomatique, après tant d’autres, il résolut d’agir énergiquement.

La marche naturelle était de s’adresser à l’Espagne, mais on avait déjà contrarié ses précédentes tentatives, et l’on jugeait contraire au principe du suffrage national de se mettre en travers d’une manifestation du peuple espagnol. On décida donc de s’adresser à la Prusse en lui demandant « d’écarter la complication ». Le 4 juil., le chargé d’affaires français à Berlin vit le sous-secrétaire d’Etat, de Thile. remplaçant Bismarck, qui lui dit que le gouvernement I prussien ignorait l’affaire qui n’existait pas pour lui. Mais le même jour l’ambassadeur prussien à Paris, Werther, qui prenait congé pour aller saluer son roi à Enis, vit le duc I de Gramont, et celui-ci lui déclara catégoriquement que la