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l’organisation uniforme de ces établissements. En second lieu, le droit latin fut étendu à des contrées entières, comme la Sicile, ou à une multitude de localités, comme Mines, Ruscino (près de Perpignan), Utique. On a dit que César, par une innovation hardie, avait eu le dessein de supprimer la situation tout à t’ait exceptionnelle de Home dans l’empire, et de l’abaisser au rang de simple capitale. On a voulu en trouver la preuve dans cette loi Julia tnuuieipalis que mentionne le Digeste et dont on a découvert en 173°2 des fragments considérables à Héraclée dans l’Italie méridionale. Cette loi est la charte commune des municipes italiens, auxquels elle garantit une réelle autonomie ; elle contient, en outre, des règlements de police relatifs à Rome. Mais de ce qu’elle s’occupe à la fois de Rome et des municipes, il ne s’ensuit pas qu’elle supprime toute distinction entre ceux-ci et celle-là : rien ne justifie une pareille conjecture.

Telle est, dans son ensemble, l’œuvre de César. A une société qui avait perdu toute confiance dans ses vieilles institutions et qui ne savait plus se gouverner, il imposa un régime politique, qui avait l’air de rappeler encore le passé, mais qui au fond était tout nouveau. Ce régime était la monarchie pure et simple. Les Romains l’acceptèrent aisément, d’abord par nécessité, puis à cause des bienfaits qu’il leur procura. Il déroutait d’ailleurs assez peu leurs habitudes, du moins quand on voyait les choses en gros, d’autant plus qu’il y avait toujours eu un fonds d’absolutisme latent dans leur manière de concevoir l’autorité. César songea-t-il à faire un pas de plus ? Désirat-il , comme on l’en accusa, la dignité royale ? Divers indices tendraient à le démontrer, par exemple ce costume des rois d’Albe qu’il portait en public, cette statue qui lui fut élevée au Capitule auprès de celles qui figuraient les rois de Rome, ce bruit adroitement répandu que, d’après les oracles, les Parthes ne seraient vaincus que par un roi, ces monnaies frappées à son effigie, enfin ce diadème qu’aux fêtes Lupercales (févr. 44) Antoine, son collègue au consulat, lui offrit en plein forum, et que les murmures de la foule .l’obligèrent à repousser. C’est, aussi vers la royauté que l’acheminaient peu à peu ces titres religieux de pater patriœ, de semideus, de deus invictus, de Jupiter Julius, et surtout ces honneurs divins que l’adulation emprunta pour lui aux pratiques des cours orientales. Nul doute qu’il n’eût le dessein d’anéantir tôt ou tard ce qui restait encore de souvenirs républicains dans son pouvoir, et de fonder ouvertement la monarchie héréditaire. Mais c’est là, justement , la raison qui amena sa perte. Les mécontents étaient nombreux, même autour de lui. Sans parler de ceux qui s’obstinaient dans leur hostilité, beaucoup n’avaient consenti à le servir qu’avec l’espoir illusoire que sa domination serait passagère et qu’il abdiquerait un jour, comme Sylla. Or, César non seulement n’abdiquait pas, mais encore il blâmait son prédécesseur de l’avoir fait, et il tendait à rendre durable ce régime que l’on avait cru transitoire. Quand ils s’aperçurent de leur erreur, les partisans de la République se résolurent à l’assassiner. A leur tète étaient Cassius, bon général, jadis lieutenant de Crassus dans la guerre des Parthes, âme ambitieuse, qui détestait la tyrannie moins que le tyran, et Marcus Rrutus, esprit droit et fanatique, caractère dur, ardent, tout imprégné de stoïcisme, très sincère dans ses opinions, très vertueux, mais d’une vertu dont l’exagération même sentait un peu l’effort. Le complot fut ourdi dans le plus grand secret, et le jour des ides de mars 14 (15 mars), César périt en plein Sénat, frappé de trente-cinq coups de poignard. L’établissement rie l’empire n’en fut qu’ajourné, et le malheur est qu’Auguste devait lui donner une forme sensiblement différente de celle (pie le dictateur parait avoir rêvée. Jules César est un des génies les plus extraordinaires qui aient, jamais paru. Grand écrivain et grand orateur, général incomparable, politique de premier ordre, il eut tout pour lui et l’histoire ne connaît personne qui le sur- I passe. Il avait un esprit net, précis, vigoureux, une vue claire des choses, une rare pénétration, un bon sens merveilleux, et une égale aptitude à former de vastes desseins comme à les exécuter. Il sut toujours ce qu’il voulait, et tout ce qu’il voulut, il l’accomplit. Il ne se contenta pas de remporter des victoires éclatantes ; il laissa après lui des oeuvres durables. Il engagea Rome et le monde dans des voies nouvelles. Il fut l’auteur d’une révolution que d’autres avaient préparée, que Sylla aurait pu faire, mais que lui seul eut le courage d’achever. 11 jeta les fondements de l’organisation administrative de l’empire, il rédigea des lois qui étaient encore debout au temps de Justinien ; il donna enfin une forte impulsion à la diffusion des idées romaines, par suite de la civilisation, dans les contrées barbares de l’Occident ; et cette immense besogne ne lui demanda guère que quatre ou cinq ans, beaucoup moins même, si Ton déduit la guerre civile. Ajoutez, à cela les qualités exceptionnelles dont la nature l’avait doué, une facilité prodigieuse de travail, une puissance irrésistible de séduction, une nature exquise, une dignité sans raideur, qui, dans une certaine mesure, lui tint lieu de sens moral, un fonds de générosité qui ne l’empêcha ni de commettre des violences, ni de verser le sang quand il le jugea nécessaire, mais qui le préserva des excès où était tombé Sylla, où tomba Octave, et qui le ramena promptement aux idées de clémence. César n’est pas seulement le plus complet des hommes d’Etat, il en est aussi le plus séduisant. P. Guiraud.

II. Histoire littéraire. — César, comme tous les jeunes gens distingués de son temps, avait reçu une forte éducation ; il avait eu pour précepteur Antonius Gnipho, un des meilleurs rhéteurs d’alors et, à vingt-cinq ans, il avait suivi, à Rhodes, les leçons de Molon ; comme eux aussi, il avait pris ce goût pour la poésie si commun alors et il le conserva jusqu’à la fin de sa vie. Dans sa jeunesse, il avait composé un poème en l’honneur d’Hercule (Laudes Hereulis), une tragédie intitulée Œdipe, que plus tard Auguste (Suet., Cœs.,o6) fit disparaître et en 46 av. J.-C. (708), dans un voyage de Rome en Espagne il versifiait un poème, intitulé Iter, sur les pays qu’il traversait : il avait aussi écrit des épigrammes dont l’une (V. Suétone, édit. Reitferscheid, p. 34) sur Térence est fort connue. La perte à peu prés complète de ces productions littéraires n’est guère regrettable, si l’on en juge par la peine qu’Auguste prenait d’en empêcher la diffusion et par le jugement qu’en a porté l’auteur du Dialogue des Orateurs (Dial. 21). A ces ouvrages qui sont un délassement d’homme de bonne compagnie et qui ne visent aucun but pratique, on peut ajouter un recueil de bons mots (ixovQéy- [aoctoc) que Cicéron goûtait beaucoup (ad Fam. ix, xvi, 4) mais qu’Auguste fit disparaître comme V Œdipe et les Laudes Hereulis.

Les autres ouvrages de César ont au contraire une tendance tout à fait utilitaire. L’ouvrage sur l’Astronomie (De Astris) qu’il écrivit ou qu’il fit écrire, mais qui fut publié sous son nom, avait assurément été inspiré par la réforme du calendrier. Son traité de Y Analogie trahit, dans une certaine mesure, les préoccupations du soldat et de l’homme politique désireux de clarté, de simplicité (A. GelL, N. AU., I, x, 4, ut tanquam scopulum sic fugias inauditum atque insolens verbum), voulant tout régler, jusqu’à la grammaire. Cet ouvrage, en deux livres, était dédié à Cicéron, il fut écrit pendant une traversée des Alpes, probablement en 55 (699). Il ne nous est connu (pie par les citations des grammairiens et de quelques auteurs, Cicéron, Eronton, Auhi-Gelle. C’était, à ce qu’il semble, une étude systématique de la langue latine qui avait pour but de vulgariser des travaux particuliers, et de faire prédominer contre les partisans de l’anomalie le grand principe de l’analogie dans les formes, dans les terminaisons, dans l’orthographe et dans le sens. V. Er. Schlitte, De G. Julio ùesare grammatico ; Halle, 1865.) Le De Analogia était une œuvre de polémique