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Il est venu à ma connaissance qu’un Monsieur, qui avait été pendant quelques années un des plus actifs et des plus chauds meneurs parmi la population anglaise, ne s’était jamais rencontré privément avec des Canadiens Français de la même classe que lui, lorsqu’il en rencontra quelques uns à table sur l’invitation de personnes attachées à ma mission, lesquelles étaient dans l’habitude de se lier également avec les Français et les Anglais. Il n’y a par conséquent aucunes discussions personnelles sur la politique. Les occasions de difficultés ne se rencontrent jamais, et pour quereller il faut le faire si publiquement où tellement de propos délibérés, que la prudence empêche les individus de se faire entr’eux des querelles, qui finiraient probablement par des luttes générales et sanglantes entre les masses. Les appréhensions mutuelles préviennent les disputes et les démêlés personnels, même parmi les gens du peuple ; les Français connaissent et redoutent la force physique supérieure des Anglais dans les villes ; et là même les Anglais évitent d’user de leur pouvoir, craignant les représailles qu’on pourrait exercer contre leurs compatriotes épars dans les établissemens ruraux.

Ce sentiment de tolérance réciproque va si loin qu’il produit un calme apparent par rapport aux affaires publiques, propre à embarrasser un étranger qui a entendu parler beaucoup des animosités qui règnent dans la Province. On n’y en aperçoit aucune trace dans les assemblées publiques ; elles ont lieu de tout côté, dans des moments d’agitation, sans troubles, et presque sans division d’opinions. Le fait est que les deux partis en sont venus à un entendement tacite de ne point se heurter dans ces occasions ; chacun des deux partis sachant qu’il serait toujours en son pouvoir d’empêcher ces assemblées. Le parti anglais par conséquent a ses assemblées, et le parti français les siennes ; et ni l’un ni l’autre ne se nuisent. Les adresses de félicitation que j’ai reçues en diverses occasions indiquaient la même séparation, dans une matière sur laquelle l’esprit de parti semblait devoir peu s’exercer, ou du moins se tenir caché par calcul ou par bienséance. J’ai reçu des mêmes localités des adresses françaises et des adresses anglaises, et je n’ai jamais vu les deux races se réunir, si ce n’est dans peu d’occasions où j’ai rencontré les noms de deux ou trois individus isolés, qui se trouvaient vivre parmi des personne de l’autre origine. Les deux partis ne s’unissent pour aucun objet public ; ils ne peuvent pas même s’accorder pour des institutions de charité. La seule occasion publique où ils se rencontrent est dans les corps de Jury ; et l’obstruction entière de la justice en est le résultat.