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des Anglais. Ils ne pouvaient point se cacher leurs succès dans toutes les entreprises dans lesquelles ils venaient en contact, et la supériorité constante qu’ils acquéraient chaque jour. Ils regardèrent leurs rivaux avec alarme, avec jalousie, et finalement avec haine. Les Anglais les payaient de mépris, et ce mépris dégénéra bientôt en haine. Les Français se plaignaient de l’arrogance et de l’injustice des Anglais ; les Anglais reprochaient aux Français les vices d’un peuple faible et conquis ; ils les accusaient de bassesse et de perfidie. L’entière défiance que chacune des deux races a ainsi appris à concevoir des intentions de l’autre, a été la cause qu’elles ont toujours mis les plus mauvaises interprétations sur les démarches les plus innocentes ; qu’elles ont toujours mal jugé des discours, des faits et des intentions de l’une et de l’autre ; qu’elles se sont attribuées les desseins les plus odieux et qu’elles ont rejeté toutes propositions de bienveillance ou de justice comme couvrant des projets secrets de perfidie ou de malignité.

La religion ne formait aucun bien de rapprochement ou d’union. C’est en effet un caractère admirable de la société canadienne qu’on n’y trouvera aucune discrétion religieuse. L’intolérance de secte y est non seulement réprimée, mais elle y semble à peine influencer l’esprit de l’homme. Mais quoique la prudence et la libéralité des deux parties aient empêché ce germe fertile d’animosité, d’envenimer leurs querelles, la différence de religion a cependant eu l’effet de les tenir éloignés l’un de l’autre. Ils ont eu leurs prêtres séparés ; ils ne se sont même pas trouvés souvent réunis dans une même Église.

Ils n’ont point eu d’éducation commune qui ait tendu à faire disparaître ou diminuer les différence d’origine et de langage. Les associations de jeunesse, les amusements de l’enfance et les études qui modifient le caractère de l’âge virile sont distinctes, totalement différentes. À Montréal et à Québec il y a des écoles Anglaises et des écoles Françaises. Les élèves des unes et des autres sont accoutumés à se battre nation contre nation ; et les querelles qui ont lieu entre les enfans dans les rues présentent souvent une division en deux camps, composés d’un côté d’Anglais et de l’autre de Français.

Comme ils sont instruits séparément, leurs études sont aussi bien différentes, la littérature familière aux uns et aux autres, est celle de leur langue particulière ; et les idées que les hommes puisent dans les livres leurs viennent des sources toutes différentes. La diversité du langage à cet égard produit des effets bien autres que ceux qu’elle a dans le rapport habituel des deux races. Ceux qui