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LE SIÉGE DE PARIS.

abandonner leurs bagages qu’ils ne pouvaient emporter, que j’entendis les plaintes, les gémissements, les récriminations de plus de trois mille personnes ; quand les employés me dirent qu’on laissait à chaque train les deux tiers des voyageurs, j’eus un moment d’hésitation, et je fus sur le point de retourner au boulevard Poissonnière.

La réflexion me donne du courage. Je pénètre au milieu d’une foule énorme qui fait queue depuis deux heures de l’après-midi. Je reçois des horions ; je me faufile à travers les gens ; on m’injurie ; j’outre-passe mon droit tant que cela m’est possible. Je veux partir, je le veux ! Je commets cent fraudes ; je me glisse au milieu d’hommes et de femmes qui résistent et se fâchent ; je fais queue pendant quatre heures, et j’avance de vingt places ! Je subis toutes les bousculades, je courbe la tête sous tous les reproches, j’adoucis humblement toutes les colères. Je raconte mon histoire à tout le monde : « Monsieur, madame, je vous en supplie, je vais embrasser ma fille à Granville et je reviens, laissez-moi passer ! »